L’appel du vide et la communication en ligne de Dieudonné : un « symptôme social » ?
Marc Knobel | 01 juillet 2020
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Sara Kurfeß
Le règlement stipule que sont interdits tous les contenus « incitant à la haine » ou la violence contre des individus en fonction de certaines caractéristiques dont l’âge, la caste, le handicap, l’origine ethnique, l’identité et expression de genre, la nationalité, la race, la situation au regard de l’immigration ou encore la religion.
La chaîne YouTube de Dieudonné M’Bala M’Bala a été fermée le 30 juin 2020 annonce la plate-forme de vidéos de Google, dans un communiqué de presse : « Après avoir mis à jour nos règlements1 pour mieux résoudre la question des contenus suprémacistes, nous avons assisté à une multiplication par cinq du nombre de vidéos retirées et nous avons mis fin à plus de 25 000 chaînes pour violation de nos règles sur les discours de haine ». Cette fermeture intervient quelques heures après celle d’autres comptes de personnalités racistes ou antisémites, aux Etats-Unis, accusées de propager des discours de haine. Or, ces dernières années, afin de contourner les obstacles et les interdictions, Dieudonné devant se produire clandestinement, Dieudonné utilisait les réseaux sociaux. Nous allons analyser dans cet article comment, depuis l’année 2015, tout cela pouvait fonctionner et quel impact cela pouvait avoir.
Julie Joly, « Dieudonné, dans ses œuvres », L’Express, 26 février 2009.
Ibid.
Ibid. Il faut lire l’article de Stéphane Binet qui a assisté à un spectacle, à Chartres, en 2005. Il témoigne également : « L’humoriste arrive sur scène entouré d’un halo de lumière : « Je m’excuse, O Peuple élu, je ne suis qu’une bête ». Le public rit, puis Dieudonné improvise sur les derniers événements » : (www.liberation.fr/societe/2005/02/25/calme-plat-pour-la-derniere-excuse-de-dieudonne_510888).
L’antisémitisme détabouisé de Dieudonné
Dans L’Express, Julie Joly raconte qu’en cette soirée de janvier 2009, au Théâtre de la Main d’or, les initiés sont venus nombreux célébrer leur martyr. Le public est cosmopolite mêlant des habitants du quartier et de lointains banlieusards, des « Blacks-Blancs-Beurs en survêt, retraités en keffieh et crânes rasés en bombers ». Près de 250 fans au total, massés sur les banquettes de velours rouge, les marches et même le sol du théâtre privé2. Et l’auditoire est hilare. Dieudonné marque un point en champion de l’autodérision. Un long dégagement sur les Pygmées d’Afrique, menacés d’extermination, et c’est le capitalisme sauvage qui se retrouve en procès. Une allusion aux trois grands « génocides » de l’humanité (ceux des Indiens d’Amérique, des Aborigènes d’Australie et des esclaves), et « l’Holocauste est ramené au rang de détail de l’Histoire », note la journaliste. L’entrée en scène de son assistant Jackie, flottant dans une nuisette « en hommage au maire de Paris », arborant une étoile jaune géante à la poitrine achève la démonstration. À l’entendre « c’est la loi », et certainement pas la morale, qui « interdit » d’oublier la Shoah. Hormis ce passage onirique, des juifs il ne sera jamais question, précise la journaliste. Mais de juifs, très souvent. Julien Dray, ce voleur « par nature », dont le bras est « si long qu’il n’a pas besoin de se baisser » pour lacer ses chaussures. Gad Elmaleh, « chouchou du show-business », ce fourbe, « capable de lui piquer » ses meilleures idées. Enrico Macias, compositeur « de merde », indésirable en Algérie et accompagnateur du chef de l’Etat français en Israël: « Maintenant, on paie les vacances d’Enrico avec nos impôts. » Nicolas Sarkozy surtout, ce « sioniste », vassal de George W. Bush, « ami de Bolloré » et de tous les « capitalistes » réunis, aveugle aux souffrances africaines pourvu que l’or noir coule à flots. Et enfin les Etats-Unis, cette autre « merde », valet d’Israël, qui ont « organisé le 11 septembre » pour du gas-oil et « tué des millions de civils dans le monde au nom de Jésus-Christ3 ». Dieudonné assène ses coups, en quelques minutes. Ce n’est pas un show, c’est un réquisitoire.
Et le « clou « du spectacle, quel est-il ?
July Jolie raconte :
« Dans une « tentative poético-musicale sur fond de tragédie gréco-palestinienne », porté par un air de guitare manouche, Dieudonné est Amid, un jeune Palestinien. « Amid a 22 ans et décide d’aller se faire sauter au milieu de ce qu’il considère comme l’envahisseur », entonne le clown devenu grave. Le show s’achève sur l’explosion du kamikaze dans un bus israélien. Tout est dit. Et le public est debout4. »
Le 22 octobre 2019, Dieudonné publie une vidéo hallucinante, à la gloire de Robert Faurisson : (www.youtube.com/watch?v=7JSeorhJQ50).
Dieudonné utilise tous les registres possibles, nous le voyons ici. Mais, nous pressentons pourquoi Dieudonné veut régler des comptes. Mais, sur scène, en plus de frapper fort, par d’innombrables détours, il cherche à désigner des cibles, tout en se grimant. Le pitre (avec ou sans nez rouge) veut faire rire de ce qu’il pointe du doigt, caricature à l’excès, stigmatise à l’envie. Il dénonce pour le plaisir. Mais, le message subliminal est là, toujours là, au-delà de la posture, pour dénoncer, accuser et stigmatiser encore. En plein show, Dieudonné déshumanise sa victime. C’est l’acte d’accusation, sans appel possible. Mais, avec la grimace et des pitreries. On pourrait rire de tout, même de la Shoah5, tel est son objectif suprême. C’est pour cela qu’il invite le négationniste Robert Faurisson au Zénith, se faire acclamer par son public. Mais, il ne s’agit pas simplement de montrer « l’infréquentable » Faurisson, à qui il remettra le « prix de l’infréquentabilité. » Il s’agit aussi de détabouiser, de le placer au centre, de transmettre un message subliminal que son public comprendra. Dieudonné transgresse, banalise et détabouise. Mais, il fait aussi de la politique. Il n’est pas qu’un « bouffon », son message est éminemment politique, au service des « causes » qu’il veut soutenir et défendre. Il y croit. De Faurisson, il dira en octobre 2018, après son décès, que sa place « serait au Panthéon ». Le principal est là : banaliser toujours et encore.
En second lieu, Dieudonné se nourrit des polémiques qu’il alimente. Comme Jean-Marie Le Pen en son temps -qui calculait sciemment ce qu’il voulait dire et comment il fallait le dire- Dieudonné se nourrit des polémiques qu’il engendre, des mots qu’il lâche, sciemment. Cela participe à la fois de la promotion de ses shows et du business qui va avec. Plus on parle -fut-ce en mal- de lui, plus il en tire des bénéfices. Car la promotion du « spectacle » ne se fera que si elle est agrémentée/accompagnée de phrases assassines. Bien évidemment, il va être très critiqué. Mais, après tout, n’est-ce pas ce que son public attend et réclame ? Dieudonné ne fait pas dans la vertu, il se nourrit du grossier, il affectionne et le scandale, la provocation. Il transgresse, c’est le job. Il ne doit pas le faire à moitié, mais totalement. Et plus c’est gros, plus cela porte et fidélise ses fans. Il doit y voir un autre avantage. Dieudonné cherche à faire passer des messages. Son combat est politique, nous le pensons. C’est ainsi qu’il ne s’agit pas seulement de gagner de l’argent, même s’il aime l’argent. Si tel avait été le cas, il aurait pu le faire autrement, sans aller aussi loin, probablement. Les phrases délivrées constituent également un argumentaire, fut-il sordide, fut-il scabreux, pour « éduquer » son public. Enfin, et pour terminer, Dieudonné aime jouer la victime. C’est un répertoire et un rôle qu’il affectionne particulièrement. Dieudonné se veut en « martyr » du système et des lobbies, comme un saint, comme Jésus. C’est en tout cas l’image qu’il aime donner de lui. C’est aussi cela la promotion du « spectacle », pas seulement lancer une phrase, pas seulement accuser, mais jouer pleinement le registre de la victimisation. Il n’est pas le seul bien sûr à le faire. Ils sont nombreux à affectionner ce rôle. Mais Dieudonné en connaît tous les registres. Comme pour rappeler à son public qu’il paye cher le fait de pointer du doigt et de partir en guerre. C’est un registre qu’il affectionne particulièrement, comme Jean-Marie Le Pen, en son temps. C’est un registre qu’il connaît par cœur et dont il use et abuse régulièrement.
Pour terminer, une simple caméra suffira. Assis sur une chaise, devant une table, dans un tout petit décor, avec quelques objets et affiches, qu’il met en vente et participe de sa promotion commerciale, Dieudonné lit son texte. Mais avant de le voir apparaître à l’écran, le spectateur devra peut-être supporter un générique très lent, accompagné par un fond musical plutôt austère. Apparaît alors à l’image une peinture représentant la crucifixion de Jésus-Christ. Dieudonné se prendrait-il pour Jésus ? Probablement. Sauf qu’au montage, les amis de Dieudonné ont fait revêtir un gilet jaune à Jésus. Ne s’adresse-t-il pas encore ici à ses innombrables fans, comme pour rappeler qu’il soutient le mouvement dit des gilets jaunes, qu’il s’identifierait aux pauvres ? Mais, en haut de la Croix, à la place de l’acronyme INRI6, Dieudonné y a fait figurer… un ananas. Comme un coup d’œil à une expression qu’il aime particulièrement7.
Aude Carasco, « Baromètre médias, les journalistes sommés de se remettre en question », La Croix, 24 janvier 2019.
Rappelons que Dieudonné avait transformé la populaire chanson d’Annie Cordy « Chaud cacao » en « Shoah nanas ». Lors d’un procès, Dieudonné soutenait que celle-ci -dont il attribuait la paternité à des détenus, parmi lesquels le terroriste Carlos- faisait en réalité référence à de « chauds ananas ». Là encore, la banalisation et l’outrance sont les marques de fabrique de Dieudonné. Défilent ensuite à l’écran, les villes où Dieudonné devrait se produire fin 2019, 2020. Le tout dure 1 minute 40 secondes. Là encore, Dieudonné fait sa promotion. Apparaît ensuite Dieudonné, qui a revêtu un gilet jaune. Devant lui, un gros cahier, il lit, remonte ses lunettes, fixe l’écran de temps à autre, rigole et déverse son fiel. Il improvise de temps en temps, tout en gardant la trame de son récit, uniquement politique, puisqu’il commente l’actualité. Tout est écrit sur son gros cahier. Il a dû donc rédiger, penser, calculer. Il suffit de dix minutes pour lancer des fléchettes empoisonnées, injurier tel ou tel et se vautrer dans la grossièreté, jouer allégrement de la moquerie, du ridicule, de la caricature quelquefois obscène et dresser son petit répertoire. Il sait que cela suffit. Dieudonné connaît les transgressions, il sait ce que les jeunes aiment, il sait attiser et appâter, courtiser son public, jouer, en jouer. C’est du bonus, pour un prix de revient quasiment inexistant. De toute manière, lorsque l’on clique sur une vidéo de Dieudonné, on ne s’attend pas à autre chose.
Mais, comment trouve-t-on les vidéos de Dieudonné ?
C’est très simple. Elles étaient (jusqu’au 29 juin 2020) consignées et déposées sur la chaîne appelée « Dieudonné officiel », qui est consultable sur YouTube, depuis 2015. À la date du 29 août 2019, la chaîne comptait 358.281 abonnés ; 372 000, le 18 octobre 2019. Elle en compte 450 000, aujourd’hui. Lorsque l’on clique sur l’accueil puis sur l’onglet « Vidéos » qui apparaît ensuite, on voit apparaître toutes les vidéos, au nombre de 450 en octobre 2019, 550, aujourd’hui. Elles sont classées par ordre chronologique. Certaines vidéos comptent 1.066.986 vues, comme «Dieudonné & la Police (En vérité, 2019) » ; 795.346 vues pour « Dieudonné répond à Zemmour et Valls // s05e05 » ; 1 214 857 vues : « Dieudonné – Caporal Lapoisse (Dieudonné & La Politique, 2017). » Plus généralement, les vidéos comptent de 200 à 300 000 vues.
Pour rappel, le 5 février 2014, L’Express racontait qu’une note de deux feuillets consacrée au phénomène Dieudonné, rédigée par la cellule de veille de l’Elysée, avait été déposée sur le bureau de François Hollande, à la fin d’octobre 2013. Le document soulignait l’importance de Dieudonné et le succès de ses vidéos sur YouTube et Facebook, les chiffres y étaient comparés à ceux des vidéos officielles de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault postées sur Internet.
Lorsque l’on regarde les vidéos, à la droite de l’écran, une rubrique apparaît, intitulée « Rediffusion des meilleurs messages du Chat » avec la mention « La rediffusion du chat en direct est activée. Les messages envoyés pendant la diffusion en direct s’afficheront ici. »
De quoi s’agit-il ?
Les internautes rédigent des messages et commentent les vidéos de Dieudonné. Et les messages s’égrènent les uns après les autres, à une vitesse folle. C’est une suite ininterrompue de commentaires scabreux, souvent débiles, bêbêtes, truffés de fautes d’orthographe et ponctués de petits smileys. Les spectateurs sont jeunes, quelquefois très jeunes. Ils sont happés par la provocation, et par mimétisme des uns et des autres, ils en rajoutent une couche. Les messages orduriers, violents, diffamatoires, peuvent se succéder à une vitesse folle. Le tour est joué. Dieudonné peut égrener son message, il a réussi à fidéliser un public, jeune. Quoiqu’il dise, cela prendra. Aucune forme de modération ne viendra interrompre ce défilé de messages à l’écran. Les spectateurs se lâchent. Dieudonné participe de sa propre promotion, de sa propre mise en scène, de sa propre victimisation. N’est-il pas crucifié comme Jésus ? Dieudonné participe de sa propre gloire aussi. Il assume, il assure et le tout fonctionne parfaitement.
Mais pourquoi donc, au fond ? Le philosophe Pierre-André Taguieff l’explique lucidement en quelques mots. Pour lui, Le succès de l’ancien humoriste (comme de Soral)est « un symptôme social », en même temps qu’un « révélateur de la signification antijuive de l’antisionisme ambiant, ou banal. Il témoigne d’une demande sociale de contestation du statu quo, d’une révolte contre un ordre politique bloqué, voire d’une détestation du système ». Pour Taguieff, le succès de Dieudonné (ou de Soral), « comme celui de Poujade naguère, s’explique principalement par l’appel du vide9 ». Pour reprendre l’expression du philosophe, « l’appel du vide » est probablement l’une des caractéristiques des années 2000. Comme si les jeunes, en particulier, n’avaient plus rien à attendre de rien.
Comment les réseaux sociaux sont utilisés par (certains) jeunes ?
De cette réflexion, nous voudrions examiner brièvement comment les réseaux sociaux sont utilisés par (certains) jeunes.
Ils s’y shootent vraiment. La communication y est extrêmement brève, rapide, nerveuse, extravagante. Elle est ponctuée de raccourcis, de quelques brefs mots, quelquefois d’insultes. Les termes utilisés sont simples. Dans les réseaux sociaux, les informations ne sont d’ailleurs pas suffisamment vérifiées. Souvent, on ne prend même pas le temps de lire un article dans sa totalité, de le confronter à d’autres sources, de se poser en réfléchissant. Quelquefois, la seule lecture d’un titre et du chapeau suffisent, ou une photographie. C’est elle que l’on regarde d’abord, le poids des images, encore et encore. Et quand bien même ? A peine a-t-on regardé rapidement un texte, en le survolant plus qu’en le lisant, que l’on est submergé par d’autres publications, que l’on clique ailleurs. C’est une frénésie folle, sans interruption, d’informations sérieuses ou d’informations people insolites et de sujets multiples. Le sexe y est très présent. L’entreprise d’abrutissement des masses fonctionnent ainsi. On se garde même de consulter des articles publiés par les grands quotidiens, les hebdomadaires et les mensuels. Pourquoi ? Parce que l’on ne fait plus confiance aux journalistes. En janvier 2019, dans le 32e Baromètre de la confiance des Français dans les médias réalisé par Kantar pour La Croix, la crédibilité accordée aux différents supports et la perception de l’indépendance des journalistes sont au plus bas8. Si l’intérêt pour l’actualité remonte (à 67 %, + 5 points), les journalistes sont jugés indépendants par seulement un quart des sondés. La radio, traditionnellement jugée comme le moyen d’information le plus fiable, sort à peine la tête de l’eau (avec 50 % de niveau de confiance, - 6 points sur un an), devant la presse écrite (à 44 %, - 8 points), la télévision (à 38 %, -10 points), et Internet (à 25 %, comme en 2018). Place donc à une « information » alternative. Et, les réactions sont forcément épidermiques. Chacun veut dire quelque chose, chacun pense savoir quelque chose sur quelque chose et devoir exprimer un contentement ou un mécontentement. D’ailleurs, lorsque des messages ou commentaires sont publiés, d’autres commentaires affluent. Le ton risque très vite de monter, la violence est totalement gratuite. Pas de place pour la sérénité, ici. Car souvent, les arguments volent bas, au niveau de la ceinture. L’invective n’est pas loin. C’est bien d’un « appel du vide », dont il s’agit, un vide sidéral, abyssal.
Auteur notamment de « Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013 » (Berg International, 2013).
Prenons un exemple. Dans les commentaires postés par les internautes, lors de la diffusion d’une vidéo de Dieudonné, qui oserait raisonnablement déposer un message pour contredire, protester, aligner des arguments réfléchis et posés ? Quel internaute oserait s’élever contre, répondre aux autres ? A la seconde où il le ferait, il serait insulté. On n’est pas là pour réfléchir, mais pour acquiescer, pour avaler, se régaler de cette vision complotiste du monde, pour participer de cette grande « orgie » verbale ou l’on veut dénoncer ceux et celles qui tireraient forcément les ficelles de tout. Cette vision commode et simpliste du monde, en arrange d’ailleurs plus d’un. Cette désignation du bouc-émissaire parfait est parfaitement synchronisée. Il y a celui qui dit et qui dit savoir et son public. Le public est là pour lire et entendre ce qu’il commente et révèle, sur le mode de « Mais oui, bien sûr, je vous l’avais dit. On nous le cache. »
Justement, les internautes sont persuadés que l’on cache des informations, que la vérité est forcément ailleurs. Et que, par conséquent, un microcosme politique ou financier particulier, organiserait minutieusement cette désinformation au service de ses propres et exclusifs intérêts mercantiles ou politiques, quasi-tribaux. Et puis, sur Youtube et les autres plateformes, de toute manière, les jeunes ne sont pas là pour philosopher, mais pour regarder une vidéo « du mec qui dit que », pour se défouler, se marrer, se moquer, tourner en dérision, rire. Et tout cela, sans la moindre forme de modération. Dans une certaine mesure, ne s’agit-il pas de la victoire posthume de la boutade lancée par Jean Yanne sur les ondes de RTL, devenu un des slogans de Mai 68 : « Il est interdit d’interdire » ? Cette sorte de formule (magique ?) si euphorisante, si libératoire, si enivrante, si sympathique ? Fini enfin les contraintes du monde, les convenances de ce monde, les formules discrètes, la prudence d’usage, la retenue, l’interdit, les normes, la loi, le droit.
Ce monde est à notre portée, d’un clic, devant notre écran, sans modération, sans retenue, sans régulation… Alors qu’il eut fallu posément, raisonnablement, contradictoirement, régulièrement, justement expliquer, contredire et modérer depuis de si nombreuses années. Finalement, il faudra attendre le mois de juin 2020, pour que YouTube se décide enfin à supprimer cette chaîne de haine. Pourquoi au fond a-t-il fallu attendre tant de temps pour ce faire ?
Marc Knobel
Historien et ancien membre du conseil scientifique de la Délégation Interministérielle de Lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme et la haine anti-LGBT9
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