L’art du pitch
09 juillet 2018
De Ted Talks en Keynotes en passant par les Mooc et les innombrables « tutos » disponibles sur internet, l’art de faire passer un message, une idée, de susciter l’adhésion ou le partage, n’a jamais été aussi indispensable, ni autant concurrencé. Mais comment se démarquer et faire la différence dans le foisonnement de la promotion de soi ? « Nous faisons tous des pitchs, tous les jours, que ce soit pour vendre une idée à un client, trouver des financements, motiver une équipe sur un projet ou même négocier une augmentation de salaire ». Oren Klaff, entrepreneur et blogueur américain lève le voile sur la méthode qui lui a permit de lever près de 400 millions de dollars en 13 ans. Réussir son pitch, c’est avant tout sortir du lot, éveiller l’attention, garder la main lors d’un échange et enfin, éviter de s’enfermer dans une position de demandeur. Car notre cerveau n’est pas aussi imprévisible qu’il en a l’air. Il obéit à ses règles, réagit aux stimuli, comme l’illustrent les dernières avancées des neurosciences.« Avoir l’air d’être aux abois, même un tout petit peu, c’est ce que vous pouvez faire de pire dans le cadre d’un pitch. C’est très mauvais pour le contrôle des cadres. Votre statut en ressort érodé. Les cognitions chaudes gèlent sur place, et vos cadres accumulés s’effondrent », affirme l’auteur.
L’art du pitch est tout sauf un don naturel.
« Lorsque nous présentons un projet, la manière dont nous en faisons un pitch détonne par rapport à celle dont il sera accueilli par notre public. Par conséquent, neuf fois sur dix, au moment précis où il est crucial d’être le plus convaincant possible, nous ne le sommes pas. Les messages les plus importants de notre pitch ont très peu de chances d’être entendus ». Un décalage qu’il faut dépasser, et au-delà du du don, maîtriser le pitch est un métier. Oren Klaff en est le meilleur exemple : il a levé plusieurs millions de dollars lors de transactions avec des groupes hôteliers, des sociétés financières, des banques internationales. Non sans une pointe d’arrogance, l’auteur revient sur son succès : « un simple calcul montre que je suis objectivement l’un des meilleurs à ce petit jeu. Et ce n’est pas non plus parce que j’ai de la chance. Ou un don particulier. Je n’ai pas non plus de diplôme en force de vente. Ce que j’ai, c’est la bonne méthode ». Chacun d’entre nous à déjà expérimenté la frustration de passer à côté d’une présentation, sur un sujet pourtant maîtrisé.« Je me trouvais face à un dilemme bien connu : le problème de l’expert. Vous connaissez votre sujet sur le bout des doigts. Vous pouvez expliquer les éléments les plus importants de votre projet avec une grande clarté, et même avec passion ».Savoir convaincre, c’est aussi respecter une méthode, une posture, suivre des codes et interpréter des signaux.
Un pitch réussi est un pitch cadré.
« Les cadres ne fusionnent pas. Il ne se font pas de copains. Ils ne se mélangent pas s’entrechoquent, et le plus fort des deux absorbe le plus faible. Un seul cadre sortira vainqueur à la fin de l’échange, et les autres cadres seront soumis au plus dominateur de tous ». Avoir la maîtrise du cadre, c’est accéder à ce contexte idéal dans lequel vos idées sont acceptées, et suivies par les autres. Comprendre le pouvoir des cadres et leur fonctionnement serait la clé. Un cadre maîtrisé est en quelque sorte un contenant, dans lequel on stocke le pouvoir, l’autorité, la force, le savoir et le statut. « Tout le monde utilise les cadres sans forcément s’en rendre compte. Chaque interaction sociale entraîne une rencontre entre différents cadres. Les cadres ne coexistent pas longtemps au même endroit et au même moment. Ils entrent en collision et l’un des cadres prend le contrôle. Un seul cadre survit. Les autres se disloquent et sont absorbés. Les cadres les plus forts absorbent toujours les plus faibles. Le cadre qui l’emporte gouverne désormais l’interaction sociale. C’est cela, la maîtrise du cadre ». Le contexte d’une relation d’affaire nous placera de fait dans un cadre-puissance, un cadre-temps, ou un cadre-analyse. Des configurations auxquelles on peut opposer d’autres cadres de défense, qui permettent de prendre le dessus et de mener la discussion, comme le cadre anti-puissance, ou le cadre intrigue. Disloquer le cadre de la puissance nécessite de briser le stéréotype d’une relation de sujétion, car « les puissants sont aussi les plus vulnérables à votre cadre anti-puissance, ils ne s’y attendent pas. Ils s’attendent à vous voir obéissant ».
Le cumul des cadres et des cognitions chaudes et froides.
« Le meilleur moyen de définir les cognitions chaudes et froides, c’est de les comparer au chocolat et aux épinards. Vous connaissez les faits. Les épinards, c’est bon pour vous, c’est bourré de nutriments et vous devriez en manger plus. Pourtant, quand on vous offre à la place un carré de chocolat, vous choisissez le chocolat ». Le bon pitchest donc celui qui passera l’épreuve de la vérité, ce test ultime qui validera l’adhésion de la cible à votre projet ou à votre produit. Si, à la fin de la présentation, la cible se lance dans une analyse rationnelle, c’est le cadre des cognitions froides qui prendra le dessus. Par opposition, le cumul des cadres chauds et froids, du rationnel et de l’affectif, suscite le désir, ce même désir qui fera pencher la balance de façon déterminante et immédiate en votre faveur. Mais pour Oren Klaff, nous commettons une erreur récurrente : un écueil qui consiste à suivre notre raison, à penser que le néocortex est bien plus intelligent que le cerveau reptilien. Mais voilà, les cognitionschaudes sont bien plus rapides que les cognitions froides, et se développent au cœur des structures primaires de notre cerveau, lorsque les cognitions froides sont calculées et prennent plus de temps pour suggérer une solution. L’expression « froideur analytique »illustre parfaitement ce mécanisme. « La réalité n’attend pas qu’on la découvre. Elle attend qu’on la cadre. En enchaînant rapidement les cadres les uns derrière les autres, vous pouvez provoquer une cognition chaude chez votre cible : l’aider à découvrir un désir ».
Comment ne jamais avoir l’air d’être aux abois ?
« Si vous parlez à des banquiers d’investissement, des professionnels qui prennent des décisions à plusieurs millions de dollars presque quotidiennement, ils vous diront que les comportements qui indiquent que vous semblez chercher la validation d’autrui sont les ennemis mortels de toute transaction ». Mais les failles qui émaillent notre confiance et notre assurance sont aussi nombreuses que naturelles, inscrites pour certaines dans nos mécanismes de survies. La protection de soi, par exemple, est une réaction inconsciente, qui vient tout droit du cerveau reptilien. De la même façon, le besoin et le manque, fussent-ils exprimés par un proche, sont le plus souvent perçus comme des menaces, rappelle l’auteur. « Si c’est ce que vous dégagez, c’est perçu précisément comme le genre de menace que le cerveau reptilien cherche à éviter. Le manque entraîne donc le rejet ».D’où l’impérieuse nécessité de ne jamais renvoyer à son interlocuteur une image de vulnérabilité. La peur et l’anxiété sont des émotions parfaitement naturelles, voire automatiques. Et même les rituels sociaux les plus communs, comme une transaction marchande, administrative, ou une évaluation académique peuvent nous faire trébucher à tout moment. Pour Oren Klaff, « il faut vraiment prendre soin d’éradiquer tout signe extérieur de manque, car cela nous démunit de notre statut et de notre domination par le cadre ». La maîtrise des dynamiques sociales n’est donc ni une intuition, ni une connaissance innée : la connaissance des cadres est in fine le respect des règles d’un jeu, une partie à laquelle on invite son interlocuteur, une expérience qui devra être à la fois nouvelle et différente, pour susciter le partage et l’adhésion.
Farid Gueham
Pour aller plus loin :
– « L’art du pitch »,extrait, decitre.fr
– « Start-up: 6 règles d’or indispensables pour réussir son pitch », challenges.fr
– « Talk Like TED: The 9 Public Speaking Secrets of the World’s Top Minds », carminegallo.com
– « Pitcher devant des investisseurs : 6 conseils pour une préparation béton »,business.lesechos.fr
– « Le pitch de présentation », business-builder.cci.fr
Photo by Teemu Paananen on Unsplash
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