Le débat sur ADP ignore « la tradition française de délégation de service public patrimoine de la France depuis Louis XIV au moins ! »
03 juillet 2019
Tribune. Vous voulez des champions industriels français ? Nous en avons : ils sont les leaders mondiaux dans la fourniture d’eau ou de services d’assainissement, la gestion des déchets, des infrastructures et des réseaux de transports. Pourquoi ? Parce qu’ils ont su développer des savoirs technologiques en s’appuyant sur des ingénieurs et des ouviers bien formés dans les meilleures écoles et universités françaises.
Mais aussi et surtout parce qu’ils maîtrisent depuis longtemps la culture économique des contrats entre une autorité organisatrice, politique et administrative, et un opérateur chargé de fournir des services ou de construire des infrastructures au bénéfice des usagers. Il faut parfois rappeler des évidences, quand elles sont trop oubliées : la délégation de service fait partie du patrimoine de la France, depuis Louis XIV au moins !
Une tradition française avec Jules Dupuit et Maurice Allais
Son travail a été pionnier pour éclairer les forces et faiblesses de ces partenariats entre les personnes publiques et privées, et également pointer les champs que les outils de l’analyse économique moderne ne savent pas encore appréhender. Mais il fait partie d’une tradition française qui passe par Jules Dupuit et Maurice Allais et qui perdure. De nombreux économistes, en France, développent des analyses théoriques sur les relations contractuelles et mesurent empiriquement les effets de ces contrats sur l’efficacité économique et le bien-être des citoyens. Que nous disent-ils ?
Ensuite, personnes publiques et privées sont confrontées à une forte incertitude : des changements techniques ou des aléas environnementaux peuvent survenir qui bouleversent l’équilibre du contrat. Les économistes ont, depuis longtemps, réfléchi aux incitations, en termes de coûts et de délais, à introduire dans les contrats pour que ces imperfections ne nuisent pas à la performance.
Un débat stérile sur la mise en concession d’ADP
Il s’agit de déterminer un juste compromis entre la recherche d’encouragements à la réduction des coûts, d’une part, et la volonté d’éviter comportements opportunistes des opérateurs ou les coûts de transaction d’une renégociation trop récurrente des accords, d’autre part. L’appel d’offres concurrentiel permet ainsi à l’autorité de sélectionner l’entreprise la plus efficace en termes de coûts, de délais et de prix ; les contrats à prix fixe, adaptés aux projets les plus simples, offrent la possibilité d’inciter très fortement l’opération privée ; à l’inverse, les contrats qui rémunèrent la personne privée au coût du service sont utiles pour des projets complexes mais nécessitent des renégociations permanentes.
Que la privatisation donnerait les clés de la politique d’immigration à une entreprise privée, alors que l’Etat restera souverain avec ses douaniers et ses policiers ? Que les petites lignes seraient fermées en oubliant de dire que l’Etat peut imposer, contre subventions, des obligations de service public ? Qu’un monopole devrait être géré par les personnes publiques, quand tant d’entre eux, dans diverses industries de réseaux (électricité, télécommunications, eau), sont déjà confiés au privé ?
Les vrais enjeux de la privatisation d’ADP
Le contrat de concession est précisément le moyen d’imposer des conditions de service, de
tarification et de développement pour garantir la défense et l’amélioration du bien commun. Comme souvent, et c’est normal, le débat se focalise sur ce qui ne marche pas. Il n’en reste pas moins qu’il faut se féliciter des milliers de partenariats public-privé qui fonctionnent très bien pour construire des routes, des hôpitaux ou des écoles, pour gérer des cantines scolaires et des réseaux de transport urbain, des Abribus, des conduites d’eau et le ramassage des poubelles ?
Que des idées fausses diffusées dans le débat public fassent fi des propositions des économistes passe encore. Mais il ne faudrait pas qu’elles nuisent à nos champions industriels qui représentent des centaines de milliers d’emplois, et si on veut qu’ils puissent répondre aux demandes des décideurs qui, dans le futur, pourraient avoir à utiliser ces formes de gouvernance pour développer de nouveaux services.
Les signataires sont Emmanuelle Auriol, Ecole d’économie de Toulouse ; Bernard Belloc, Ecole d’économie de Toulouse ; Eric Brousseau, Université Paris-Dauphine-PSL ; Francis Bloch, Ecole d’économie de Paris/Université Paris-I ; Frédéric Cherbonnier, Ecole d’économie de Toulouse et Sciences-Po Toulouse ; David Ettinger, Université Paris-Dauphine-PSL ; Philippe Gagnepain, Ecole d’économie de Paris/Université Paris-I ; Christian Gollier, Ecole d’économie de Toulouse ; Marc Ivaldi, Ecole d’économie de Toulouse ; Erwan Le Noan, cabinet Altermind ; Stephane Saussier, IAE Paris, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Paul Seabright, Ecole d’économie de Toulouse ; David Sraer, université de Berkeley (Etats-Unis) ; Carine Staropoli, Ecole d’économie de Paris, Université Paris-I.
Déclaration d’intérêt :
Eric Brousseau et David Ettinger sont membres de la Chaire de gouvernance et de régulation de l’Université Paris Dauphine, qui a noué des partenariats avec les régulateurs français (ARCEP, AMF etc.) et des entreprises dont ADP et Vinci. Les chercheurs affiliés à l’Ecole d’économie de Toulouse (TSE) reconnaissent le financement de TSE par des donateurs. Stéphane Saussier et Carine Staropoli sont membres de la Chaire Économie des partenariats public-privé à l’IAE de Paris, qui a noué des partenariats avec des entreprises, dont Vinci.
Collectif
Article paru dans Le Monde
Aucun commentaire.