Le PIB peut-il embrasser l’écologie ?
Bruno Bensasson | 25 juin 2020
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En ces temps de crise économique, on entend beaucoup parler du produit intérieur brut (PIB), de sa chute et de sa croissance. Les chiffres sont d’ailleurs trompeurs car le PIB français est à la fois en chute et en croissance. En effet, si on regarde à pas annuel, en 2020 notre production sera inférieure à celle de 2019 d’à peu près 12 %. Mais, à pas mensuel, on voit que le PIB est déjà revenu à la croissance depuis le point bas atteint en confinement. De fait, le chiffre annuel de – 12 % mélange un mois d’avril 2020 inférieur d’environ 40 % à celui avril 2019, et un mois de décembre 2020, qu’on peut espérer très supérieur à avril et proche de décembre 2019, inférieur de 3 % si nous retrouvons l’essentiel de notre productivité dans la plupart des secteurs économiques et évitons trop de liquidations dans les secteurs les plus affectés.
On entend aussi à nouveau l’idée que le PIB est un indicateur économique imparfait, à juste titre. Mais alors pourquoi cette longévité ? Parce qu’en un nombre assez simple à mesurer par les instituts statistiques, il dit quelque chose sur la production de richesses sur un espace et une durée donnés. Ainsi apprend-on de la Banque mondiale qu’entre 1990 et 2018, le PIB par habitant et par an est passé en Chine de 1 500 à 15 000 dollars, pendant qu’en France il a crû de 33 000 à 45 000 dollars. Cela ne résume pas la complexité de l’économie mais dit des choses sur la façon dont le niveau de vie moyen a évolué dans ces pays en trente ans et où il se situe aujourd’hui, ces chiffres fondés sur des prix corrigés du coût de la vie reflétant assez correctement la satisfaction relative que les gens tirent de la consommation de biens ou de services.
Peut-on trouver un meilleur indicateur que le PIB, qui intégrerait mieux les enjeux sociaux (inégalités) et écologiques (émissions de CO2), comme nous y invite Hubert Védrine dans un récent ouvrage ? De tels indicateurs ont déjà été proposés, à commencer par l’indice de développement humain (IDH) développé par le grand économiste Amartya Sen, indice composite mêlant PIB par habitant, espérance de vie et niveau d’éducation. Ou encore l’indice de progrès véritable (IPV), qui part du PIB pour y ajouter des éléments qu’il ignore actuellement (productions domestiques ou bénévoles, par exemple) et en retrancher des destructions de richesses (accidents, criminalité, inégalités…).
Force est de constater que ces indicateurs, quoique intéressants, n’ont pas beaucoup prospéré, ni parmi les instituts statistiques, ni dans le débat politique. Pourquoi ? Sans doute parce que ces nouveaux indicateurs ont voulu embrasser trop de dimensions, résumer en un seul chiffre trop d’aspects de la vie économique et sociale, mélangeant subjectivement choux et carottes. Pour la bonne conduite des affaires publiques, c’est plutôt aux institutions politiques qu’il appartient de peser des enjeux aussi différents que la croissance (taille du gâteau) et l’équité (répartition du gâteau), et non à quelque théoricien ou statisticien génial au moyen d’une formule magique.
Alors, n’y a-t-il donc rien à faire de mieux avec le PIB ? Si. D’abord s’y référer plus souvent, par exemple pour comparer l’effet prévisible ou mesuré sur le PIB et sa répartition de telle dépense ou de telle taxe. À recette donnée, les impôts à la production sont-ils plus ou moins nocifs pour le PIB que l’impôt sur les sociétés ou la TVA, et pour qui ?
Mais ce n’est pas tout. On pourrait prendre en compte, juste un peu plus loin que le PIB, le produit intérieur net (PIN), qui est déjà calculé par l’INSEE en retranchant au PIB l’usure du capital. La différence est significative puisqu’en France, en 2018, le PIN était de 1 900 milliards d’euros, pour un PIB de 2 300 milliards, à raison de 400 milliards d’amortissements. Ce PIN possède plusieurs avantages sur le PIB. Tout d’abord, il donne une image plus juste de la création de richesses, la valeur des entreprises et les bénéfices qu’elles distribuent intégrant aussi cette usure. Ensuite, le PIN évite le double compte que commet le PIB en comptant, une année, la production d’un bien d’équipement, puis, les années suivantes, la production des biens produits par cette machine. Enfin, d’un séisme, il retient d’abord la destruction des maisons avant de compter leurs réparations !
Par ailleurs, le PIN ouvre la voie à l’intégration dans les comptes économiques de la destruction du capital naturel (pollution), voire du capital humain (accidents), comme sources de richesses ou richesses en tant que telles. S’agissant du climat, par exemple, on retrancherait ainsi du PIB les émissions de CO2, valorisées à leur coût écologique ou, à défaut, au taux légal de la taxe carbone, environ 50 euros la tonne de CO2, soit 25 milliards d’euros en 2018. Ainsi en évaluant l’impact de telles mesures sur le PIN, on intégrerait leurs effets, haussiers ou baissiers, sur la production de biens mais aussi les émissions de CO2. Les Français continueraient à intégrer cette taxe dans leurs décisions, que son taux reste stable ou continue à monter comme il était prévu en 2019. Et on poursuivrait un chemin conciliant écologie et économie.