Le service public numérique pour l’éducation : un concept sans stratégie, un déploiement inachevé.
Farid Gueham | 29 août 2019
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Photo by William Iven.
« Faire entrer le numérique à l’école est devenu un axe à part entière de la politique éducative, inscrit dans la loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013. Pour ce faire, un nouveau service public a été créé, le « service public du numérique éducatif », qui de façon originale et singulière est identifié et intégré au sein du service public de l’éducation ». (…) « L’enquête conduite par la Cour des comptes a pour but d’apprécier, cinq ans après la loi de 2013, la manière dont ce service public a été déployé au sein du dispositif scolaire et d’examiner s’il a, à tout le moins, créé les conditions de son évolution profonde, sinon de sa transformation ».
Dans son rapport du 8 juillet 2019, la Cour des comptes restitue les travaux de son enquête. Elle y déplore de ne pas pouvoir pu évaluer l’impact scolaire des techniques numériques sur les résultats des élèves. Le rapport souligne par ailleurs que « l’évaluation des pratiques des enseignants et des effets sur les résultats des élèves est restreinte et tardive, dans un contexte de grande disparité du déploiement des moyens et des usages numériques ».
Un effort financier significatif depuis le vote de la loi de 2013.
« Les investissements publics en faveur du numérique éducatif ont beaucoup progressé sous l’action conjuguée des trois niveaux de collectivités, pour 2 milliards d’euros de 2013 à 2017, et de l’État, pour 300 millions d’euros sur la même période, alors que son engagement initial était annoncé à hauteur d’1 milliard d’euros ». L’effort dans ce secteur à été majoritairement porté par les départements : en effet, la dépense numérique pour les collèges a connu une augmentation de 53 % en cinq ans, atteignant un montant cumulé de 860 millions d’euros. Les communes et les écoles rurales y ont consacré 383 millions d’euros, soit une progression de dépenses de 135 %. Impliquées de plus longue date dans ces investissements, les régions, à travers l’équipement numérique des lycées notamment, portent un effort cumulé de 848 millions d’euros, soit une progression plus modérée de 21 % sur cette même période. Au delà de l’effort financier, le rapport déplore la méthode peu sélective des projets et des structures soutenus, « fondée sur le financement d’équipements individuels (pour les deux tiers des crédits de l’État) dans une logique d’appels à projet (…) qui s’est de fait traduite par une politique de guichet peu sélective ».
Un service public sans objectifs clairs.
Le service public du numérique éducatif souffre d’un décalage profond entre des investissements conséquents, et des équipements encore limités dans des structures qui ne bénéficient pas, dans certains cas, de connexion internet efficace : « si les investissements publics en faveur du numérique éducatif ont beaucoup progressé durant la période 2013-2017, les conditions de déploiement d’un « service public du numérique éducatif » sont loin d’être toujours réunies : la connexion des écoles et des établissements est encore insuffisante et dans bien des cas, inexistante ; de fortes inégalités d’équipement des classes et des élèves demeurent entre les territoires ». De la même façon, détourner ou réduire une politique éducative s’appuyant sur le numérique, à la distribution de tablettes individuelles aux écoliers, s’est rapidement prouvé inefficace : « (…) la priorité a été donnée, (…) au financement d’équipements mobiles individuels, transformant cette action en « plan tablettes » (…) s’est vite avérée une politique dépassée et inutilement coûteuse ».
La co-construction entre l’État et les collectivités territoriales, toujours à la traîne.
« Aussi la mise en place de ce nouveau service public aurait dû être une co-construction entre l’État, responsable des enseignements, des programmes scolaires et de la pédagogie, et les collectivités, chargées des bâtiments, des équipements et des services logistiques ». Si l’engagement des recteurs et de leurs services dédiés au numérique éducatif est inconstatable, les politiques publiques du secteur restent fragmentées, dans une logique de silos. Les initiatives des collectivités locales du développement numérique, peinent à s’inscrire dans un paysage scolaire national. « De fait, en l’absence de cadrage clair de la politique du numérique éducatif par l’État, les collectivités territoriales, confrontées aux besoins des établissements et très proactives, prennent la main sur cet aspect du service public et arrêtent les orientations qui leur paraissent les plus opportunes », précise le rapport.Rectorats, collectivités et établissements, avancent chacun à leur rythme, sans feuille de route commune. Pour les rapporteurs, le comité des partenaires, instance nationale animée par la direction du numérique pour l’éducation, gagnerait à prendre plus d’initiatives. Cette instance pourrait être relayée par des représentations en région, sous le pilotage des recteurs, afin « d’offrir aux collectivités, régionales et départementales notamment, une interface commune permettant la régulation de leurs interventions ».
Le ministère de l’Éducation nationale doit faire prévaloir ses prérogatives propres.
Le rapport pointe du doigt le ministère et son effacement, dans l’accompagnement des compétences des enseignants pour réussir la transition numérique. « Le rétablissement de la certification des compétences numériques, l’encouragement des enseignants déjà en poste à valider les compétences acquises en cours de carrière et la mise en place d’un plan de formation continue obligatoire sont indispensables », rappellent les rapporteurs.
Doter toutes les écoles et les établissements scolaires d’un socle numérique de base.
La recommandation principale de la Cour des comptes est de doter écoles primaires, collèges et lycées, d’un socle numérique de base. Celui-ci reposerait sur les infrastructures et les équipements mis en place par la collectivité responsable, auquel répondrait un engagement de l’État dans la formation des enseignants d’une part, et la mise à disposition de ressources éducatives d’autre part. Les neuf recommandations du rapport s’inscrivent dans deux actions principales : la définition d’une stratégie de déploiement du numérique au sein de l’éducation nationale et une meilleure maîtrise des outils opérationnels du service public. La définitiond’un socle numérique de base pour les écoles, collèges et lycées, par un plan national, des certifications obligatoires des compétences numériques dans la formation initiale pour les personnels enseignants, sont d’autres leviers envisageables. Enfin, la clarification du rôle de chacun des opérateurs du service public du numérique éducatif, ou l’ouverture d’un portail unique de ressources et services numériques, permettraient de faire évoluer les pratiques des enseignants, dans un contexte toujours émaillé par de nombreuses fractures et disparités, dans les moyens comme dans les usages.
Pour aller plus loin :
– « Synthèse : le service public numérique pour l’éducation », ccomptes.fr
– « Numérique : le rapport accablant de la cour des Comptes », lagazettedescommunes.com
– « Quand la Cour des comptes étrille le plan tablettes »,nextinpact.com
– « Le service public numérique pour l’éducation », educapital.fr
– « L’éducation nationale : l’argent pour le numérique est parti dans l’équipement individuel des élèves », lareveududigital.com
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