Les européennes et après
28 mai 2019
Au vu du résultat des élections européennes, un scrutin toujours redoutable pour le pouvoir, certains commentateurs soulignent à l’envi l’échec cinglant du président de la République engagé personnellement dans la campagne et, du coup, un possible effacement de son leadership sur les scènes européenne – mais qui s’en soucie ? – et nationale – rien n’est moins sûr -.
Les précédents historiques
Les élections européennes ont rarement porté chance au(x) parti(s) au pouvoir. Elles entrent même pour eux dans la catégorie maudite des « scrutins intermédiaires » qui servent à les sanctionner. Depuis la première désignation du Parlement européen au suffrage universel en 1979, rares en effet sont ceux qui ont échappé à cette sorte de loi d’airain de la science politique. Le mode de scrutin proportionnel, l’absence d’enjeux très perceptibles par les électeurs – qui de fait s’abstiennent souvent massivement – favorisent naturellement ce genre de comportement électoral. La liste est longue des désaveux exprimés lors des européennes : 1984 et 2014 pour le parti socialiste, 2004 pour l’UMP. Dans le cas socialiste, les défaites européennes annonçaient même de cruelles désillusions aux législatives et à la présidentielle à venir. Seule stratégie pour échapper à la malédiction : l’alliance avec d’autres composantes de la majorité qui permet par exemple en 2009 la victoire de l’UMP, le parti du président de la République Nicolas Sarkozy.
Quand elles n’ont pas forcément fait office de vote sanction pour la majorité en place, les européennes ont également permis aux partis alliés dans l’exercice du pouvoir de se disputer le leadership dans la perspective des prochaines échéances nationales – ainsi de la candidature de Jacques Chirac pour le RPR en 1979 qui visait surtout à affaiblir la droite giscardienne – voire de régler des comptes entre eux – ainsi de la liste Tapie en 1994 téléguidée par François Mitterrand comme une opération anti-Rocard -. Ces manœuvres politiques ne sont d’ailleurs pas sans efficacité : Giscard d’Estaing est battu à la présidentielle de 1981 avec la complicité au moins tacite de Chirac et la carrière politique de Rocard a été brisée net par son score humiliant au scrutin européen.
Qu’il s’agisse des électeurs ou des politiques, les élections européennes ont donc toujours été instrumentalisées à des fins qui n’avaient qu’un lointain rapport avec l’Europe.
Stratégie suicidaire ?
Le scrutin du 26 mai n’échappe pas à la règle, Emmanuel Macron ayant toutefois lié la question européenne et la politique intérieure en y mettant le même enjeu, le souverainisme européen ou les nationalistes, décliné sur un mode plus personnel s’agissant de la politique française : moi ou le chaos – entendons le Rassemblement
National -.
Car l’originalité du scrutin de 2019 en France a été l’effacement de la tête de liste LREM, au-delà même sans doute des espérances du Président, la discrétion du Premier ministre et l’omniprésence présidentielle dans la campagne électorale : Emmanuel Macron a voulu, comme en 2017, un duel avec le Rassemblement National – ajoutons : Marine Le Pen aussi -.
Et les beaux esprits de s’interroger sur la tactique suicidaire du chef de l’Etat : jamais en effet un président de la République, impopulaire de surcroît, n’avait à ce point assumé le rôle de chef de la majorité, s’offrant ainsi comme cible pour les électeurs mécontents, d’autant que LREM n’avait pas d’allié hormis le fantomatique MODEM.
Dans le fond, si l’on se réfère aux précédents historiques, toutes les conditions étaient réunies pour une sévère défaite du Président qui aurait donc commis une double erreur stratégique : aller seul à la bataille et s’exposer à un échec électoral personnel après la crise des gilets jaunes qui l’a profondément contesté, pour le plus grand bien de ses adversaires.
Est-ce si sûr ?
Un coup d’avance …pour qui ?
Certes le pari d’Emmanuel Macron n’est pas sans risque et la seconde place de son parti aux européennes confirme que, seul, il n’est pas en mesure de vaincre l’extrême droite en France ; elle l’affaiblit davantage encore au sein de l’Union vis-à-vis des eurosceptiques et d’un partenaire allemand déjà avare de compliments – mais l’Europe est-elle la priorité dans cette bataille ? –
Et pourtant le score élevé de LREM, relativement à celui de la liste arrivée en troisième position, confirme un fait majeur : le macronisme a une existence pérenne dans le paysage politique national. Mieux, il est une force partisane sans laquelle aucune majorité gouvernementale à venir n’est possible et ses adversaires auraient sans doute tort de compter sur l’affaiblissement de son fondateur pour la voir s’effacer. En clair, ses opposants devraient se poser cette simple question : avec qui gouverneront-ils demain s’ils gagnent la présidentielle sinon avec des « macronistes » ?
Pour LR, principale victime de la stratégie d’Emmanuel Macron, la victoire à la présidentielle n’est pas encore acquise et c’est un euphémisme. Et comme, n’en déplaise à Marine Le Pen, les européennes ne sont pas un référendum, le président de la République qui songe principalement à sa réélection, non seulement ne démissionnera pas en raison de la seconde place de sa liste dimanche, mais peut même compter dans la perspective de 2022 sur un socle électoral solide. De surcroît, aucun adversaire nouveau n’a émergé du scrutin européen. Rien à ce stade ne permet donc d’indiquer que Macron sera empêché de se représenter, au contraire, ni qu’il ne fera pas alors, une fois encore, figure de rempart face au Rassemblement national dont le récent scrutin aura confirmé la force.
En revanche, il ne pourra pas gouverner seul, surtout avec l’introduction d’une dose de proportionnelle aux législatives. La priorité du Président doit donc être l’élargissement de son assise politique s’il veut conserver son avantage. La tâche s’annonce ardue. Ce devrait être aussi celle des Républicains s’ils ne veulent pas connaître le sort du PS : la disparition.
Dans cette perspective, la stratégie de Xavier Bertrand dont les observateurs soulignent la montée en puissance (1) semble à l’évidence beaucoup plus pertinente que celle de Laurent Wauquiez qui a choisi l’attaque frontale contre Emmanuel Macron : le président de la Région Hauts-de-France, libre de toute attache partisane – « mon parti c’est la région » – et fort d’un enracinement local réussi dans une France en souffrance, joue en effet habilement des amis qu’il a encore dans son ancien parti et des proches qu’il a en macronie. Car lors d’une présidentielle, il faut rassembler et les vieux appareils partisans qui luttent pour ne pas mourir peinent à le faire. La chose ne sera pas aisée non plus pour LREM qui n’a guère d’existence en dehors de son fondateur. Emmanuel Macron, qui pâtit déjà d’une certaine solitude – c’est depuis le début dans le fond sa principale faiblesse – serait bien inspiré de s’en souvenir et, par exemple, de ne pas laisser son Premier Ministre insulter l’avenir en stigmatisant comme il vient de le faire « la droite Trocadéro ». Xavier Bertrand lui, plus avisé que Wauquiez et Philippe, ménage les deux droites et … s’est bien gardé de s’engager lors du scrutin européen.
Mais qui en France se soucie véritablement de parler d’Europe aux Français ?
Vincent Feré
(1) L’Opinion, 19/05/2019
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