Les territoires au secours de la République

Pascal Perrineau | 21 juillet 2020

Dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, la notion de ceux qui ont été « en première ligne » a été beaucoup utilisée, jusqu’au sommet de l’État, et a fait découvrir que les « premiers de cordée » dont parlait Emmanuel Macron au début de son quinquennat n’étaient pas toujours celles et ceux qui, à l’heure des périls graves, se retrouvaient finalement « au front ».

Dans la riposte à l’épidémie, on a beaucoup parlé, à juste titre, des soignants et de tous ces travailleurs de l’ombre qui font tourner la machine sociale et économique (vendeurs, livreurs, éboueurs, manutentionnaires…), mais on a beaucoup moins parlé des collectivités territoriales qui, dès le premier jour, ont été au feu et ont su, avec beaucoup d’agilité, compléter l’action de l’État et souvent pallier les nombreux déficits de cette action. Pensons en particulier à quelques présidents des conseils régionaux des régions les plus touchées.

Dès le début du mois de mars, Jean Rottner, président du conseil régional du Grand Est, avait ainsi alerté le président de la République sur la distorsion entre la parole publique officielle et la situation de tension extrême des structures de santé face à une épidémie qui s’étendait rapidement à partir du foyer de Mulhouse. Au-delà de cette fonction d’alerte d’un pouvoir au plus près du terrain, la région Grand Est a rapidement mis en place un fonds de soutien pour les très petites entreprises (TPE) et les associations, des prêts rebond afin de renforcer la trésorerie des entreprises, ainsi qu’une plateforme dédiée aux acteurs de la région pour favoriser l’interface avec des entreprises locales pour faire face à la crise du Covid-19.

Dans les Hauts-de-France, le président du conseil régional Xavier Bertrand engagea rapidement une opération nommée « Un masque pour chacun », créa un fonds de solidarité pour les TPE et mit en place une centrale d’achat pour permettre aux petites communes de commander en direct des équipements de protection.

On pourrait ainsi multiplier les exemples de politiques agiles et innovantes : prise en charge des frais de sélection des futurs aides-soignants, aide exceptionnelle pour les étudiants infirmiers, fonds d’urgence pour les événements culturels et sportifs, soutien à la recherche biologique et médicale régionale, soutien spécifique aux secteurs du bâtiment et des travaux publics et de l’architecture, fonds d’urgence pour les hébergements touristiques, etc. Les départements, les intercommunalités et les communes ont accompagné la mise en œuvre de cette riposte locale à la pandémie en coordonnant souvent horizontalement leurs efforts. L’État central, plus habitué à la verticalité bureaucratique qu’à la concertation avec les collectivités territoriales, a le plus souvent été peu sollicité. Cependant, début mai, le déconfinement venant, le pouvoir central s’est retourné soudainement vers les élus et les collectivités locales afin de mettre en œuvre le déconfinement progressif du pays.

Depuis, les maires et les présidents des conseils départementaux et régionaux ont été fortement mis à contribution dans le cadre de la réouverture des écoles mais aussi dans le cadre de la mise en œuvre concrète du déconfinement (distribution de masques, mesures de solidarité pour les personnes fragiles ou isolées, protection de l’enfance, transports scolaires, mobilisation des laboratoires départementaux d’analyse, stratégies différenciées de déconfinement selon les territoires…). À cette occasion, ces élus ont mis en cause les limites du fonctionnement très jacobin de la première période du confinement et ont dénoncé, entre autres, la gouvernance des Agences régionales de santé (ARS) ainsi que les concertations tardives, une fois les décisions prises. Ils ont demandé le rassemblement autour des préfets de task force de tous les acteurs, élus locaux, administrations, experts, acteurs privés qui ont en charge la mise en œuvre et le suivi du déconfinement.

La crise sanitaire a plus que jamais mis en lumière les dysfonctionnements de l’État central et de sa bureaucratie, tandis que, dans le même temps, l’efficacité des initiatives et des réponses locales a été forte et efficiente. Cette efficacité a encore besoin d’être libérée. Il faut tirer la leçon des derniers mois et pousser les feux d’une décentralisation initiée il y a bientôt quarante ans mais qui n’est jamais parvenue à son terme. Comme le déclarait en 1977 le Premier ministre Pierre Mauroy, qui a porté la décentralisation sur les fonts baptismaux, « quand la décentralisation sera au cœur de l’expérience du gouvernement, […] la République sera enfin libérée de la monarchie ».

À l’heure où la démocratie doit être réinventée, les collectivités territoriales montrent la voie de la libération d’une République entravée. La révision constitutionnelle de 2003 relative à « l’organisation décentralisée de la République » doit enfin devenir une réalité.

Ce texte a été rédigé le 7 mai 2020, actualisé et publié le 21 juillet 2020.