LR vs LREM
27 juin 2018
Pour la plupart des commentateurs politiques, la cause est entendue : Laurent Wauquiez mène les Républicains à leur perte et l’éviction brutale, il y a une semaine, de la numéro 2 du parti, Virginie Calmels, n’a pas manqué de les conforter dans leur diagnostic.
Naturellement personne ne nie les difficultés de LR qui, au passage, concernent aussi l’autre grand parti historique de gouvernement, le Parti socialiste. Laurent Wauquiez non plus sans doute et, comme Emmanuel Macron, il a probablement acté la disparition des partis traditionnels qui renvoie à une crise profonde de la représentation politique et de la démocratie.
Et d’ailleurs, LR pour Wauquiez diffère-t-il vraiment de LREM pour Macron ?
La crise des partis traditionnels et de la représentation politique
Il y a un an les élections législatives en donnant la majorité absolue à la République en marche qui n’existait pas quelques mois auparavant ont consacré l’effondrement des deux grands partis de gouvernement, LR et le PS, qui avaient alterné au pouvoir depuis les débuts de la Cinquième République. Or même si de Gaulle, sous la IV è, n’a eu de cesse de stigmatiser le rôle des partis, incarnation à ses yeux des « jeux, poisons et délices du système », la Constitution de 1958 stipule dans son article 4 : « les partis et groupes politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».
C’était dans le fond acter que depuis la fin du XIX è siècle et l’affaire Dreyfus, la structure partisane avait été la réponse apportée à l’entrée des masses dans la vie politique. La droite a certes répugné davantage que la gauche à s’organiser ainsi mais le parti est devenu au fil du temps le lieu où se joue la vie politique. Et ironie de l’histoire, le fonctionnement des institutions de la Cinquième République a même donné naissance au gaullisme partisan.
Dans un ouvrage qui a fait date (1), Maurice Duverger opposait alors aux partis de cadre, essentiellement composés de notables, peu centralisés et simples machines électorales les partis de masse, avec de nombreux militants et, souvent, un leader charismatique. De fait, le PCF, le PS, l’UDF et le RPR qui ont dominé la vie politique des premières décennies de la Cinquième République relevaient de l’un ou l’autre des types analysés par Maurice Duverger.
Or ces organisations traditionnelles sont aujourd’hui en voie de disparition. En effet, elles ne répondent plus aux attentes des citoyens dans un contexte de crise de la représentation politique dont la montée de l’abstention et les bons scores des partis populistes sur fond de poussée de la « démocratie illibérale » (2) en Europe sont un bon révélateu. Elles ont de fait été balayées aux dernières élections législatives.
Wauquiez à l’école de Macron
C’est du reste en dehors de ces partis traditionnels qu’Emmanuel Macron à la grande stupéfaction des observateurs a bâti sa victoire à l’élection présidentielle. De fait, LREM n’est ni un parti de cadre ni un parti de masse. Certes les élites sociales constituent l’essentiel de ses membres mais la structure est hyper-centralisée et comme le note le politologue Pierre Martin, les décisions y viennent d’en haut : les commissions d’investiture pour les élections se réunissent sans que les militants ne votent. Ce n’est donc pas un parti de cadre. Ce n’est pas davantage un parti de masse : nombre d’adhérents qui ont cru naïvement à une nouvelle manière de faire de la politique, plus horizontale et appuyée sur les réseaux sociaux ont été déçus par la verticalité de l’exercice du pouvoir au sein de LREM. Ils l’ont quitté. Un « parti attrape tout » alors ? Sans doute sur le plan idéologique, avec le fameux « en même temps » mais pas sur le plan sociologique – ce qui n’est pas sans danger, puisqu’Emmanuel Macron élu par une partie de la gauche est de plus en plus clairement identifié à la droite dans les sondages –. Un « parti pivot » aussi au sens où l’entend Serge Berstein à propos des radicaux sous la Troisième République ? Probablement le souhaite-t-il en tout cas puisque Christophe Castaner, délégué général de LREM, propose aux élections municipales de 2020 de soutenir aussi bien des maires de gauche que de droite. Mais on peut voir aussi les choses autrement : un leader et une organisation dévouée à sa cause, une idéologie simple : « et de droite et de gauche » : un populisme distingué en somme. Dans le fond, qu’est-ce que LREM sans Emmanuel Macron ? La réponse est sans doute : pas grand-chose. LREM n’est en effet pour l’instant rien d’autre que le soutien du Président de la République qui ne tardera pas – un quinquennat, c’est court – à se « remettre en marche » pour sa réélection en 2022. Et après une éventuelle défaite ?
En face, Laurent Wauquiez veut exister en incarnant l’opposition radicale au président de la République. Il s’appuie sur une structure, LR, qui dispose d’une implantation locale encore solide. Les militants le suivent, les sondages consécutifs à l’éviction de Virginie Calmels le montrent bien. Dans sa logique, l’exercice de son autorité le conforte plutôt que de le desservir comme le répètent à l’envi les commentateurs. Un chef, une idéologie claire, proche du populisme d’extrême droite, une structure partisane aux ordres : stratégiquement, Wauquiez ne serait-il pas l’élève de Macron ? LR n’a jamais été un parti de cadre, ce n’est plus non plus un parti de masse, la belle affaire, LREM non plus. Wauquiez est seul ? Sans doute mais Emmanuel Macron l’est aussi d’une certaine façon, comme le notait justement Dominique Reynié il y a un an (3).
Dans un cas comme dans l’autre, il y a finalement une tentative de s’adapter aux conditions nouvelles créées par la crise de la démocratie représentative. Il n’est pas sûr toutefois que ce soit le moyen d’y remédier en profondeur et pas davanatage de régler la crise française qui, comme la crise européenne, est aussi sociale. Or Macron comme Wauquiez oublient la question sociale : le premier pense qu’elle se réglera d’elle-même, le second mise sur la question identitaire.
Xavier Bertrand, lui aussi en rupture de ban avec les partis traditionnels, vient opportunément de rappeler qu’elle était le cœur du problème (4).
Une troisième voie/voix ?
Vincent Feré
(1) Maurice Duverger, Les Partis politiques, Seuil, 1981
(2) Trop libre, 8 juin 2018
(3) Le Monde du 24 avril 2017
(4) Le Monde du 19 juin 2018
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