Macron a-t-il raison de dénoncer une Europe ultralibérale?
16 novembre 2018
L’« itinérance mémorielle » du président de la République a été gâchée par la tempête qui a suivi ses déclarations sur Pétain – comme si la situation dans la mémoire nationale d’un homme frappé d’indignité nationale pour avoir collaboré avec l’ennemi et permis de livrer aux nazis des Juifs, jusqu’aux enfants, méritait des heures de débat.
Une autre déclaration d’Emmanuel Macron a retenu l’attention. Le Président réformiste, réputé éprouver de la sympathie pour la philosophe libérale, que l’on avait vu défendre la construction communautaire avec ardeur dans des discours remarqués, a semblé changer de pied, déclarant : « Notre responsabilité, c’est d’entendre (…) la colère contre une Europe qui est sans doute devenue trop ultralibérale ». Est-ce vrai ?
Il faudrait d’abord définir ce qu’est l’ultralibéralisme. Les libéraux ont l’habitude de dénoncer le terme, considérant qu’il ne veut rien dire et ne sert qu’à leur jeter l’opprobre – on n’entend jamais parler d’ultrasocialisme ni d’ultraétatisme. Il faut toutefois s’accorder que, dans l’opinion, l’expression sert à désigner un marché jugé excessivement libre, manquant de contrepoids, et qui s’étendrait à des domaines dont il devrait être exclu (au-delà de la sphère marchande).
Ensuite, il faut comprendre dans quelle mesure cette définition s’applique à l’Europe. Deux questions se posent alors. La première est de savoir si l’Europe est un projet libéral. Ses pères fondateurs étaient convaincus que c’est par le rapprochement des économies qu’ils créeraient des solidarités effectives. Le Traité de Rome de 1957 explique ainsi que « la Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun (…), de promouvoir (…) des relations plus étroites entre les Etats qu’elle réunit ». Le projet européen repose sur un marché structuré autour de quelques libertés (circulation des biens, personnes, capitaux et services), d’un principe de concurrence et d’une « politique commerciale commune ».
Interventionnisme. Pour autant, ce projet relève d’une vision spécifique du libéralisme : celle d’un marché bien ordonné, administré par la puissance publique. Le droit de la concurrence en est l’exemple : plutôt méfiant vis-à-vis des grandes entreprises (là où d’autres écoles, de Chicago à Hayek, se font tolérantes), il repose sur l’idée même que l’administration a pour mission de veiller à la bonne structure des marchés, posant pour principe qu’elle a la capacité de la déterminer et d’en anticiper les évolutions. Il est d’essence interventionniste.
La seconde question doit déterminer si sa politique est libérale. Les plaintes régulières contre la propension de « Bruxelles » à sur-réglementer les activités économiques y apportent une réponse. Reste le domaine commercial, dans lequel l’Europe ferait preuve de naïveté ; la critique, quand bien même elle serait vraie, oublie que la Commission ne négocie évidemment pas sans mandat des Etats membres.
Si l’Europe a des connotations libérales, elle n’est certainement pas ultralibérale. Les classes moyennes ont été déstabilisées par la mondialisation et les mutations technologiques – comme les générations précédentes affrontèrent d’autres bouleversements. La difficulté de la France dans le XXIe siècle débutant c’est que, faute d’avoir réformé son Etat-providence, elle est incapable de les accompagner ni les soutenir. Le coupable, ce n’est pas le libéralisme, souvent fantasmé. C’est l’étatisme.
Erwan Le Noan
Texte publié le 12 novembre dans L’Opinion
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