Plateformes, sites collaboratifs, Marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos choix ?

04 avril 2018

« Sites web de consommation collaborative, marketplaces, réseaux sociaux, e-commerce, toutes ces plateformes bousculent de nombreux secteurs de biens et de services et font émerger un nouveau modèle d’organisation »Christophe Benavent, professeur à l’université Paris-Ouest et directeur de l’école doctorale « Economie, organisations, société », décrypte un phénomène saisissant par la rapidité de sa généralisation : des plateformes qui, apparues il y a tout juste une dizaine d’années, participent au quotidien de plusieurs dizaines de milliers d’humains. « Leur valeur est pour certaines phénoménale. Amazon vaut plus de 300 milliards de dollars, Uber est à 70 milliards de dollars et Airbnb à 40 milliards de dollars. Un de nos champions nationaux, Danone, en atteint à peine 50 milliards au bout d’une longue histoire de fusions, d’acquisitions, de concentration et d’internationalisation ». Les plateformes fascinent autant qu’elles déroutent. Sans même que l’on puisse précisément définir leur modèle, et l’horizon dont elles esquissent les contours, elles bouleversent le paysage économique, les pouvoirs publics, et les règlementations internationales. Autant d’acteurs œuvrant chacun dans le sens d’intérêts divergents.

Une nouvelle organisation, au-delà du marché, de la bureaucratie et des clans.

 

C’est grâce à l’innovation technique, qui a permis de coordonner temporellement et de manière efficace, les actions et les interactions de nombreux agents, que la plateforme trouve les bases de son modèle organisationnel. Les plateformes externalisent au maximum les stocks, les actifs productifs, et même les personnels : l’exemple le plus parlant est celui d’Amazon. D’où le challenge de coordonner l’action de ses multiples partenaires. Ici encore, c’est la technique, l’innovation de l’environnement digital qui permet de réduire ces coûts de gestion. « Les plateformes incarneraient alors ce minimum d‘organisation qui permet matériellement au marché de fonctionner. Elles seraient ainsi des sortes de bourses qui assurent la formation des prix et garantissent le minimum de confiance pour que s’accomplissent les échanges », précise Christophe Benavent.

 

L’écosystème des plateformes. 

 

Dans ce nouvel environnement, l’objet du contrôle n’est plus la performance, mais l’information qui permet d’agir. L’élément le plus stable d’une plateforme est son interface : c’est elle qui distribuera, ou plutôt, distillera l’information aux différents partenaires et acteurs. « Plus besoin de contremaître, comme dans la bureaucratie, ou de contrôleur de gestion ni même de kapo. Désormais, par la magie d’évaluations savamment concoctées, le patron, c’est le client ».  Ce nouvel écosystème s’organise en strates : un paysage « mille-feuilles » dédié à la presse, aux médias sociaux, à la musique, qui, au-delà d’une révolution permanente, ne sont pas anéantis, par l’innovation. Et si les anciens médias sont parfois relégués à des espaces plus restreints et tourmentés, ils ne disparaissent pas pour autant. « Les plateformes ne surgissent pas en bousculant les sédiments : elles se superposent, s’agglutinent, s’accumulent ». La première strate est donc celle de l’Internet et du protocole de communication TCP/IP, qui permet de lier des ordinateurs entre eux, dans un même réseau. La seconde strate, c’est celle du web, qui ne lie pas des ordinateurs, mais des documents identifiés par des URN « Uniform Ressources Names ». Et la correspondance entre le physique (IP) et le documentaire (URL) s’effectue par le biais de tables DNS « Domaine Name System ». Enfin la troisième strate n’est pas à proprement parler un objet technique, mais une organisation : les réseaux sociaux qui ne rassemblent plus des objets ou des documents, mais des personnes.

 

Comment les plateformes nous gouvernent : la conduite des populations. 

 

L’économie des plateformes est riche d’enseignements, dont un des plus marquant est sans doute que le comportement d’un acteur va influencer celui d’un autre, par l’évaluation, la recommandation : la notation d’un conducteur Blablacar, l’évaluation d’un logement, d’un service, ou d’un livreur… « La bonne gestion des plateformes consiste non seulement à offrir aux clients ce qu’ils attendent – c’est la définition du marketing –  mais aussi à orienter leur conduite pour délivrer un meilleur service ». Pour orienter et influencer nos choix, les plateformes utilisent trois technologies distincte : la première étant le design des interfaces qui fige également les « capacitations » et les « restrictions », en quelque sorte nos droits et nos obligations sur la plateforme. Les plateformes jouent également un rôle de police, puisqu’elles modèrent, comme des Etats pourraient le faire sur leurs territoires. Enfin un système « motivationnel » maintient le mouvement et la dynamique des agents, à l’instar de politiques publiques, d’incitation ou de prévention. « Ce sont des algorithmes qui les déploient dans la population, ajustant et automatisant leur application à chaque individu ». 

 

L’appareil de la consommation : le collier digital. 

 

Christophe Benavent va jusqu’à comparer l’appareil de consommation des plateformes à une sorte de « collier digital », par lequel ces dernières impriment leurs volontés sur nos actions et choix, instaurant par la même occasion une surveillance quasi-orwellienne. Quoiqu’il en soit, les fonctions prévues ou préfigurées ne seront pas toujours celles que les humains utiliseront le plus. « Acteur et spectateur, producteur et consommateur, l’appareil redéfinit le rôle du sujet dans la société et marque l’ambivalence d’une nouvelle ère de la domestication ». Avant de domestiquer le client, la plateforme doit tout de même établir un lien de confiance avec ce dernier. Cela passe par une mise en scène, la mise en place d’un environnement stable, fait de routines, de réflexes, et d’habitudes mécaniques. Une fidélisation se met en place. Plus d’espace pour le choix ou l’hésitation. Ces stratégies s’affinent et se perfectionnent de jour en jour, à l’image des imprimantes connectées qui commandent des cartouches d’encre en fonction de niveau de consommation, sans que le propriétaire n’ait à rien à faire. Le coup de maître réside dans la stratégie déployée par les plateformes pour nous faire comprendre que ce collier n’en est pas un. Il ne vise pas à la contrainte, mais simplement à l’amélioration des services : c’est en quelque sorte, un collier pour notre bien, un filet de secours. De PayPal aux sites de réservations de voyages, la démarche de consommation est facilitée jusqu’au paiement, par un simple clic. Netflix est un modèle en matière de recommandation. L’entreprise de streaming vidéo a organisé un concours doté d’un prix d’un million de dollar pour qui parviendrait à améliorer de 10% la précision et l’efficacité de l’algorithme de recommandation. Et c’est sans évoquer les risques de contrôle et d’une surveillance permanente dont Jeremy et Samuel Bentham n’auraient pas rêvé lorsqu’ils évoquaient leur modèle panoptique.

 

 

Et si le consommateur était un travailleur comme les autres ?

 

« Consommacteur »« produmer » ou « prosumer », une espèce hybride voit le jour. Car la valeur créée par les plateformes provient directement des utilisateurs. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Car une part de la richesse des plateformes provient du travail de la consommation, mais aussi des actifs de l’usager, sans autre rétribution que le service qu’ils alimentent par ailleurs. Prêt à contribuer, le consommateur doit-il pour autant céder ses droits et ses libertés ?

Farid Gueham

Pour aller plus loin :

–       « L’Europe demande aux géants du net d’expliquer comment marchent leurs algorithmes », businessinsider.fr

–       « Le modèle économique des plateformes économique collaborative ou la réorganisation des chaînes de valeurs », anact.fr

–       « L’externalisation : levier de compétitivité de l’entreprise »dynamique-mag.com

–       « L’interface-client : la nouvelle bataille industrielle »digitalforallnow.com

–       « Les plateformes numériques : nouveaux patrons d’une société sans salariés », digital-society-forum.orange.com

–       « Plateformes et modération des contenus »cnnumerique.fr

 

Photo by Xianjuan HU on Unsplash

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