Pourquoi l’école échoue en banlieue? Parce que tout le monde s’en fout

Erwan Le Noan | 28 juin 2019

En fin de semaine auront lieu les épreuves du brevet, examen de fin de collège. Elles ne sont pas d’une difficulté abyssale. Pourtant, dans maints établissements de banlieue un peu délicats, elles sont un défi.

Choses vues et entendues dans un collège d’« éducation prioritaire », la semaine dernière : pour les élèves, réussir une petite dictée sans faire moins de huit fautes est une performance. Souvent, celles-ci trouvent leur source dans une insuffisante capacité à comprendre le contexte dans lequel les mots sont employés – dans un texte décrivant la joie, la gaieté devient « guetter ». En histoire, les déficits sont criants. Pour certains, il est impossible de reconstituer la chronologie du XXe siècle à partir de photos de quelques-uns de ses grands évènements (« Hitler, c’était avant ou après la Guerre froide ? »).

La plupart de ces jeunes sont sympathiques et intelligents. Mais force est de constater qu’ils ont parfois de graves difficultés, par manque de vocabulaire (« Ça veut dire quoi, “conséquences” ? ») ou de connaissance, et parce que des capacités cognitives n’ont pas été acquises. Beaucoup auraient dû bénéficier d’une prise en charge en amont. Les plus en difficultés ont déjà sombré ; les plus futés n’ont pas l’opportunité de se déployer.

Les conditions d’enseignement sont évidemment complexes. L’attention est limitée, le brouhaha est permanent. Le tout face à des enseignants souvent motivés – mais pas toujours – et généralement désemparés, et à des parents parfois démissionnaires. Mais la raison de l’échec est plus profonde, et plus simple : tout le monde s’en fout.

Avenirs parallèles. Personne ne s’en soucie, parmi ceux qui pourraient donner une réelle inflexion de changement car, en réalité, jamais aucun n’a mis les pieds quelques instants dans ces classes ni même ces quartiers ; jamais personne ne fréquente ces jeunes qui ne sont pas entrés dans la vie mais dont l’avenir est déjà compromis.

Les statistiques sont assez claires : très peu feront des études supérieures (et presque aucun les plus prestigieuses), ils n’auront donc pas accès aux emplois qualifiés et seront confrontés au risque du chômage de masse. La précarité sera leur lot. A l’inverse, les enfants de l’élite réussiront : s’ils n’intègrent pas les meilleurs établissements, ils partiront étudier à l’étranger puis, forts du capital parental, ils lanceront leur start-up. Le chômage ne sera pour eux qu’une statistique dans la presse.

La culpabilité des élites n’est pas de réussir, c’est de ne pas agir pour autoriser le succès des autres. En France, la mobilité sociale est faible : la société manque de fluidité et de concurrence, qui permet aux plus méritants, d’où qu’ils viennent, de réussir. L’OCDE a récemment montré qu’il fallait six générations pour qu’une famille du bas de l’échelle sociale atteigne la moyenne.

La société est ainsi figée entre des classes qui s’ignorent. Il n’y a pas de destin commun, mais des avenirs parallèles. Notre pays a abandonné une partie de sa jeunesse, par désintérêt de ses élites. C’est un scandale moral et une faillite économique : tant de talents gâchés ! C’est aussi un péril politique : comment une démocratie saine peut-elle durer sur ces bases, en excluant de la réussite toute une partie de sa population ?

En 2007, l’Académie des sciences morales et politiques avait publié un livre intitulé La France prépare mal l’avenir de sa jeunesse. Une décennie plus tard, rien n’a changé.

Texte publié dans L’Opinion

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