Réformons les élus avant de changer la Constitution

Erwan Le Noan | 22 juin 2019

Notes

1.

Fourquet, L’Archipel français

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2.

Algan, Cahuc, La société de défiance

+ -

Dans sa déclaration de politique générale, le premier ministre a appelé « chacun [à juger] dans quelle mesure il considère que la réforme constitutionnelle peut être un instrument de renouveau démocratique et de réconciliation nationale entre le peuple et des élites qui sont de plus en plus largement désavouées et mal-aimées ».

L’intention est bonne. Notre démocratie souffre d’une défiance qui la mine, dans les urnes et dans la rue. Les Français rejettent leurs élites. Pour beaucoup, elles sont une noblesse intouchable, rentière et courtisane qui s’accapare les privilèges. Ils ne croient plus au rêve de Beaumarchais selon lequel « par le sort de la naissance, l’un est roi, l’autre est berger, le hasard fit leur distance, l’esprit seul peut tout changer ».

Les statistiques leur donnent raison : notre système scolaire est déterministe ; et si les inégalités sont plus faibles qu’ailleurs, c’est au prix d’une mobilité sociale réduite. La France est un pays ‘archipelisé’1,  une société de défiance2. Répondre à cette crise est prioritaire, avant que la colère ne déborde. Mais il n’est pas nécessaire – ni suffisant, de réformer la Constitution.

Notes

3.

La Machine à trier, 2011

+ -

Le système scolaire et le marché du travail doivent changer, pour encourager la méritocratie ; aujourd’hui ils servent à « trier » les heureux élus de l’élite des autres3.

Notes

4.

L’Opinion, 4 février

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Pour autant, comme l’écrivait Montesquieu, « lorsque l’on veut changer les mœurs et les manières (…), il vaut mieux les changer par d’autres mœurs et d’autres manières ». En l’espèce, celles des élites politiques : trop d’éléments, dans notre République, rappellent la distance qui sépare les élus des citoyens, comme l’usage ostensiblement distinctif des gyrophares4, mais aussi l’accès aux bâtiments symboliques de la République.

A Washington, n’importe qui peut visiter le Congrès et y déambuler, croisant les élus ; la Maison Blanche se visite sur invitation parlementaire. La démocratie y est horizontale. En France, l’accès à l’Assemblée et au Sénat ne se fait que sur recommandation et uniquement pour les espaces où les parlementaires ne se sont pas. Quant à l’Elysée, il ne se visite qu’aux Journées du patrimoine. Notre démocratie est verticale : il n’y a pas de maison du peuple, mais des palais pour élus.

Cette défiance vis-à-vis des administrés se retrouve dans l’absence de transparence sur l’usage des fonds publics. Outre-Atlantique, une bonne partie des salaires des fonctionnaires fédéraux est en ligne. Il suffit de 3 secondes pour savoir que le chief of staff du Président Trump est rémunéré 180 000 dollars par an. On y met concrètement en œuvre l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Chez nous, c’est impossible : le proposer expose à des accusations de populisme.

Et que dire d’autres usages surannés ? Sait-on par exemple que pour voir certains hauts fonctionnaires (préfets, recteurs…), on leur « demande audience » ?

La réforme de nos institutions est utile. Mais pour que le peuple renoue avec ses élites, il faut bien plus que cela ; il faut que les dernières se souviennent qu’elles procèdent des premiers.

Article paru dans L’Opinion

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