Réinventer la redistribution, sans l’Etat, pour éviter la Révolution

Erwan Le Noan | 27 juillet 2019

D’un point de vue politique, la société française se porte mal. La confiance dans la démocratie décroît, alors que l’attirance pour les solutions autoritaires se renforce. Les relations collectives sont extraordinairement à vif: la moindre étincelle fait s’embraser d’un individu à des groupes entiers comme si, maintenue sous tension permanente, la société était prête à craquer. Le complotisme, la xénophobie et l’antisémitisme prospèrent, désormais sans même plus prendre la peine de se dissimuler. Les difficultés sociales s’accumulent, de chômage de masse en pauvreté rurale et ghettoïsation urbaine. Les tensions communautaires et religieuses s’accentuent.

Pourtant, les Français n’ont jamais été aussi riches, nombreux, en meilleure santé et mieux éduqués. Les droits des individus n’ont probablement jamais été aussi bien garantis. Les inégalités, même, sont relativement faibles.

La société française vit ainsi dans un extraordinaire paradoxe, les données statistiques semblant transcrire une réalité alternative. Un tel niveau de tension contradictoire menace de rompre à tout instant.

Le discours le plus courant dénonce la faute du libéralisme (généralement affublé du préfixe « ​néo ​» ou « ​ultra ​»), de la mondialisation et du capitalisme. C’est une erreur de constat ​: depuis la fin de l’époque médiévale, l’économie de marché se déploie dans une dynamique d’élargissement de l’horizon des opportunités, apportant prospérité et liberté. Ce mouvement a l’inconvénient de ne pas être linéaire ni harmonieux, mais il est vertueux. Il suscite de l’incertitude et de l’instabilité, mais ses alternatives ont inexorablement produit asservissement et appauvrissement.

Déclassement. Ce qui a échoué depuis quelques décennies maintenant, c’est notre système de redistribution ​: l’Etat-Providence. Alors que la société démocratique suppose, pour que chaque individu croie au principe d’égalité civique, qu’il a la possibilité de croître dans l’échelle sociale, notre système n’assure plus de mobilité. En dépit de dépenses astronomiques, il ne fournit plus le soin nécessaire aux plus défavorisés. Obsédé par la lutte contre les différences, il a figé les places dans une société de rentes. Les citoyens se retrouvent donc figés à vie dans une position sociale, menacés de déclassement, convaincus qu’ils n’ont plus d’opportunité d’une vie meilleure.

Construit au XXe siècle, c’est lui qui a assuré – après d’autres, la fonction de solidarité sociale, qui porte attention aux plus fragiles, et celle de solidarité politique, qui permet au peuple de se constituer. Ce n’est pas rien ​: à ce jour, le modèle démocratique moderne n’a pas trouvé d’autre cadre que la Nation pour s’exercer.

L’Etat se retrouve ainsi aujourd’hui en position de faire échouer la Nation et d’étouffer la société. Elle seule, pourtant, pourrait s’en libérer en inventant les solutions alternatives à ce qu’il ne sait plus faire : la redistribution et la cohésion.

Deux voies semblent privilégiées en la matière ​: l’action associative et le niveau local, qui conjuguent l’autonomie des initiatives et leur mise en œuvre concrète. Si les Français croient encore en leur destin collectif, ils pourraient se saisir de ces pistes. Ce serait de modestes tentatives. A défaut, une société dans laquelle une partie des individus se considère exclue et condamnée, incomprise et abandonnée se prépare un avenir fait de ruptures violentes.

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