Sauver le monde : vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer.
21 novembre 2018
« Le modèle émergent du peer-to-peer veut contourner la logique de fausse abondance matérielle et de rareté artificielle de l’immatériel. L’auteur perçoit dans l’enchevêtrement apparent de phénomènes nouveaux – l’économie collaborative, l’open source, le crowdsourcing, les fablabs, les micro-usines, le mouvement des « makers », l’agriculture urbaine, etc…- un modèle qui nous mène vers une société post-capitaliste, où le marché doit se soumettre à la logique des communs ». Michel Bauwens, théoricien du peer-to-peer décrypte la naissance d’un nouveau paradigme qui bouleverse le capitalisme tel que nous le connaissons. Bien au-delà du partage de documents par le biais de la mise en réseau, le « pair à pair »encourage la co-construction d’objets et de projets, de Wikipédia à l’imprimante 3D.
Le peer-to-peer et l’économie.
« Au cours des vingt prochaines années, l’automatisation va provoquer le déclin de la société fondée sur le salariat : 49% des emplois devraient disparaître aux Etats-Unis, 43% en Grande-Bretagne, 50% en Belgique, 56% en Italie et en Pologne ». La révolution numérique bouleverse le modèle économique classique fondé sur l’opposition entre production et consommation. Elle y substitue une nouvelle organisation reposant sur des communautés de savoirs, élaborées à travers les relations entre pairs. Un changement radical qui impacte non seulement l’organisation du travail, mais aussi les relations sociales, l’économie. « Peer-to-peer est un terme qui vient du monde de l’informatique. Pour la plupart des gens, il évoque des réseaux où les utilisateurs peuvent échanger directement des films, des photos, des documents et de la musique », rappelle l’auteur. Mais le plus important dans cet échange est surement l’absence d’intervention du serveur central. Ces réseaux permettent aux ordinateurs d’êtres égaux entre eux, de devenir tour à tour client ou serveur. Les réseaux peer-to-peer ont ainsi permis la réalisation de projets collectifs internationaux tels que Wikipédia, Linux, Arduino, sans même devoir passer par des organisations traditionnelles comme les ONG, les organismes publics, ou les entreprises. Internet marque le début d’une nouvelle révolution de la productivité, en introduisant un système où chaque individu contribue sur une base bénévole au projet qu’il veut soutenir. C’est un système hyper productif car « chacun collabore à un projet par passion ». Mais voilà, au milieu de la multitude des expériences de l’économie collaborative, comment faire en sorte que les contributeurs au commun puissent gagner leurs vies ? Pour Michel Bauwens, la solution est l’introduction d’un revenu de base garanti. La théorie qui sous-tend le revenu de base n’est pas celle qui sous-tend la sécurité sociale. Mais quid de la solidarité nationale dans cette organisation ? Si la quantité de valeur que l’on veut apporter à la société est un choix personnel, encore faut-il être physiquement apte à l’offrir.
Dans le champ politique.
Michel Bauwens plaide pour une gouvernance technocrate et technicienne. « Je rêve d’un réseau de politiciens venus de différents partis et ayant une attitude positive à l’égard des communs, qui chercheraient à atteindre un consensus sur le programme minimum en faveur des communs », affirme-t-il. Ce programme devrait ainsi comprendre à la fois les droits de l’Internet, la défense des communs physiques, des droits sociaux, mais aussi l’autogestion des services publics vitaux. Afin d’illustrer sa théorie, l’auteur imagine une gouvernance où le parti Pirates viendrait apporter son expertise relative aux droits numériques, les Verts leur connaissance en matière de protection des ressources naturelles, les sociaux-libéraux la défense des intérêts de l’entrepreneuriat etc… Enfin une nouvelle organisation « pair à pair »trouverait un espace d’expérimentation parfait à l’échelle d’une ville. L’échelon local serait, pour l’auteur, le moyen de court-circuiter les blocages nationaux et internationaux et les organisations internationales pourraient ainsi passer des accords directement avec les communes, les départements ou les régions.
Dans la spiritualité.
Pour l’auteur, le lien entre religion et « peer to peer » est évident : il s’agit du partage d’une doctrine, vécue ou reçue dans la transcendance par un individu, un messie, un messager, dont la mission sera la propagation et la diffusion d’une parole, d’un écrit. « Les religions naissent dans un contexte social et en sont également le reflet. Le fondateur d’une religion vit à un moment donné une expérience (…) et il est convaincu qu’il doit la partager avec toute l’humanité et crée autour de lui une structure, ou une Eglise ». C’est cette organisation, ce clergé ou cette communauté qui portera la marque de son temps plus que l’idéologie ou le message dont il ou elle sera le gardien. L’auteur va plus loin : pour lui, il existerait même une pratique « P2P »de la spiritualité. En Grande-Bretagne, le mouvement des Peer Circles, soutenu financièrement par le Fonds social européen, la Loterie nationale britannique, et la fondation St Giles Trust, mobilise de nouvelles techniques qui permettraient de stimuler non seulement la solidarité et l’entraide, mais aussi l’intelligence collective. « Ces techniques sont de plus en plus souvent appliquées à la spiritualité, mais pas à grande échelle. C’est un mouvement en plein essor », constate Michel Bauwers.
Dans la philosophie.
Le « P2P » est une vision pour une nouvelle société, dont une valeur fondamentale serait l’équipotentialité.« Nous reconnaissons que certaines personnes sont plus douées pour certaines choses que d’autres. Il y a de bons artistes, il y en a de mauvais, et il est des gens qui n’ont aucune notion de ce qu’est l’art. (…) », reconnaît l’auteur. Mais au lieu de comparer les gens et les uns aux autres, le P2P encourage chacun à mobiliser le meilleur de ses capacités et de ses forces pour un bien collectif. « Chacun peut mobiliser personnellement son énergie, son temps et son savoir, et la qualité de cet investissement est jugée par des pairs compétents ». Le P2P serait ainsi une réconciliation entre l’individuel et le collectif, dans une société toujours plus fragmentée, où l’isolement découlerait notamment de l’atomisation d’un individu égocentré, et la segmentation de la société entre l’objet et le sujet, le producteur et le consommateur, le patron et le salarié etc.… Le pair à pair, revisite du patronage médiéval dans sa version numérique et le représente comme une utopie « le peer-to-peer équivaut à créer une technologie sociale en vue de construire de nouvelles communautés de valeurs, libres, fondées sur les affinités (…) Nous avons besoin de thérapie sociale et d’une nouvelle collectivisation. Non pas une socialisation collectiviste autoritaire, mais une socialisation libre en fonction des affinités », conclut Michel Bauwers.
Farid Gueham
Pour aller plus loin :
– « L’économie du partage selon Michel Bauwens »,p2pfoundation.net
– « Le peer to peer : nouvelle formation sociale, nouveau modèle civilisationnel », cairn.info
– « Nouvelles formes du travail et de la protection des actifs », francestratégie1727.fr
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