Viser le « monde d’après », c’est accepter notre nature humaine
Xavier Pavie | 18 juillet 2020
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Depuis plusieurs semaines, nous voyons surgir de partout la volonté de faire émerger un monde nouveau. Celui-ci prendrait forme après la crise sanitaire actuelle. Ce nouveau monde est qualifié de « monde d’après » et nous pouvons nous demander s’il n’y a pas derrière cette expression une forme de fantasme schumpetérien de la destruction créatrice, c’est-à-dire l’effondrement d’un monde qui en ferait émerger un autre, « tout neuf » celui-là. Toutefois, pour qu’il puisse y avoir un monde différent, encore faudrait-il qu’ait lieu l’arrêt du monde précédent, qu’il y ait une véritable destruction du monde actuel. Or s’il ne fait aucun doute que la situation est inédite, il semble plutôt que nous soyons dans une suspension du monde actuel.
Depuis le début de la crise, la plupart des individus ont une obsession : celle de la continuité, autant que possible, du monde d’avant et, au plus vite, de son redémarrage à l’identique. Les cours dispensés par les enseignants, quel que soit le niveau, illustrent parfaitement ce phénomène : ils sont bien entendu différents sur la forme mais strictement identiques sur le fond à ceux dispensés avant la crise. Or, si nous voulions un « monde nouveau », il faudrait à l’évidence commencer par former différemment.
On se plaît donc à rêver un « monde d’après », souvent conceptualisé dans les médias tout en convoquant des individus qui ont justement été les acteurs du monde qui serait à jeter. Ce « monde d’après » est un conte, fantasmé, car de manière sous-jacente il est toujours proposé comme meilleur que celui d’avant. Mais en quoi un monde inconnu serait-il préférable ? Et pour qui ? Pour quelles classes sociales ? Selon quelles perspectives ? Occidentale ou asiatique ?…
Il est entendu qu’une participation de tous à la création d’un nouveau monde ne restera qu’une utopie. Il n’existe pas et il n’a jamais existé une sorte de « matrice » idéale du monde. La nature humaine est faite avec ses qualités, qui nous ont permis d’évoluer dans la forme complexe qui est la nôtre aujourd’hui, mais aussi avec ses défauts. En réalité, viser le « monde d’après », c’est plutôt accepter cette nature humaine.
Ainsi, si nous avions à imaginer notre utopie, ne serait-il pas préférable d’accepter aussi ce fameux « monde d’avant » ? Car nous savons ce que nous devons faire pour un monde meilleur dès aujourd’hui, non pas pour un « monde d’après » : maîtriser ses passions que sont le pouvoir, la gloire, l’accumulation de richesses ; faire preuve de tempérance dans nos actions et nos désirs ; montrer du respect vis-à-vis des autres, individus ou animaux. Ces quelques préceptes, datant des stoïciens, nous proposent une philosophie comme manière de vivre. Cela demande effort, travail sur soi, réflexion et courage dans nos choix et décisions : on appelle cela des « exercices spirituels ». Autrement dit, si imaginer le « monde d’après » doit avoir lieu, cela doit commencer par soi-même. Il s’agit de faire preuve, comme disaient les Grecs, d’epimeleia heautou, soit l’attitude que l’on se doit d’avoir à l’égard de soi, à l’égard des autres, à l’égard du monde.