Résumé
I.

La ruée afghane vers l’Europe

II.

Les mouvements secondaires

III.

La France, pays de l’asile afghan

IV.

Des afghans peu formés

V.

Un problème important d’ordre public

VI.

Des femmes quasiment invisibles

Conclusion

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Résumé

Depuis 2015, la France est devenue l’un des principaux pays d’accueil des réfugiés afghans, dans le sillage de la crise syrienne, des politiques de fermeture au nord de l’Europe et de l’effondrement du régime afghan. Avec plus de 100.000 Afghans présents en 2024, cette migration s’est imposée comme un phénomène massif, récent, inattendu par son ampleur.

Ce mouvement est favorisé par un dispositif français d’asile relativement protecteur. En 2024, plus de 70% des Afghans ayant déposé une demande se sont vu accorder un statut de protection internationale (réfugié ou protection subsidiaire), contre moins de 40% dans certains pays européens. Ces écarts de reconnaissance encouragent les « mouvements secondaires » : des personnes déboutées dans d’autres pays de l’Union européenne viennent demander l’asile en France.

Mais cette dynamique révèle de nombreuses fragilités: les arrivants sont majoritairement jeunes, masculins, peu scolarisés, souvent en difficulté d’apprentissage linguistique et d’insertion professionnelle. Le conservatisme social en Afghanistan, que les migrants conservent en partie, est difficilement compatible avec les valeurs françaises notamment sur les questions de liberté de conscience et droits des femmes. Ce contraste se manifeste notamment dans la quasi-absence des femmes au sein de cette migration : elles représentent moins de 20% des personnes exilées, reflet de leur marginalisation dans l’espace public afghan.

La migration afghane met ainsi à l’épreuve le modèle français d’intégration. Elle souligne le décalage entre les valeurs de la République et les réalités culturelles de réfugiés afghans, tout en soulignant les limites des capacités d’accueil, aujourd’hui saturées et difficilement compatibles avec une politique migratoire dite « ouverte ».

Didier Leschi,

Directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)

“Afghan Displacement Summary Migration to Europe”, Danish Refugee Council, novembre 2017

Notes

1.

En 1978, le Parti communiste clandestin avec le soutien d’officiers afghans formés en URSS fomente un coup d’État. Si celui-ci réussit, le pouvoir en place fait rapidement face à une forte résistance populaire, amenant l’armée soviétique à intervenir massivement.

+ -

2.

“US Costs to date for the war in Afghanistan 2001-2021”, Costs of war project institute international and public affairs, Brown university, avril 2021 [en ligne].

+ -

3.

“Global Trends. Forces Displacement in 2023”, UNHCR, 13 juin 2024, p.9 [en ligne].

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4.

“Refugee Data Finder”, UNHCR [en ligne].

+ -

5.

“Afghanistan situation”, Operational Data Portal [en ligne].

+ -

Voilà quarante ans que l’Afghanistan connaît une situation chaotique. Cette situation explique que les Afghans fassent partie des populations de réfugiés parmi les plus importantes au monde. Entre le coup d’État communiste en 19781 et le retrait russe en 1992, les Afghans, engagés dans une stratégie de survie, ont représenté la plus grande vague de migration depuis la Seconde Guerre mondiale. La prise de Kaboul par les Talibans en août 2021 a de nouveau poussé des centaines de milliers d’Afghans sur les routes. En particulier ceux qui ont bénéficié des années de présence occidentale, classes moyennes, anciens collaborateurs des forces occidentales ou des ONG et des femmes, hélas dans un nombre trop limité. Le retrait américain a matérialisé l’échec d’une politique qui n’a ni réussi à vaincre sur le plan militaire ni à engendrer le développement économique, politique et humain de l’Afghanistan. La principale explication de cet échec a été le choix d’une stratégie fondée plus sur l’usage de la force que sur le soutien au développement alors que, pendant leurs vingt années de présence, les seuls Américains auront englouti plus de 2.000 milliards de dollars dont la moitié pour les budgets militaires2. À titre de comparaison, le plan Marshall, destiné à aider les pays européens à reconstruire leur économie entre 1947 et 1951, a coûté aux États-Unis 150 milliards de dollars (prix actuels), soit moins de 7% du coût de la guerre d’Afghanistan pour les Américains.

« 10,9 millions d’Afghans demeurent déplacés, presque tous au sein de l’Afghanistan ou dans les pays voisins. En 2023, le nombre de réfugiés afghans a globalement augmenté de 741.400 personnes pour atteindre 6,4 millions de réfugiés, reflétant de nouvelles estimations de la République islamique d’Iran et du Pakistan3 ». D’abord dans les pays voisins, le Pakistan, l’Iran, la Turquie, puis vers l’Amérique du Nord et l’Europe. Pendant longtemps l’Iran et le Pakistan ont accueilli 85% des réfugiés afghans.

L’Iran comptait encore 3.752.000 de réfugiés afghans sur son territoire en 2023, et le Pakistan en comptait 1.987.7004. Cependant, au Pakistan, ces Afghans sont assignés à certaines parties du territoire et à certains métiers. L’accès à l’éducation leur est interdit. En Iran, plus de 2 millions d’Afghans sont en situation irrégulière du fait de la perte de validité de leur visa, de leur titre de séjour et même de leur carte de réfugié5.

Pourquoi les Afghans émigrent au Pakistan

Source :

“Afghans in Pakistan: drivers, risks and access to assistance”, Mixed Migration Center, décembre 2024 [en ligne].

Notes

6.

Plus de 250.000 Afghans ont été expulsés d’Iran et du Pakistan vers Kaboul depuis 2021. Voir « Le HCR appelle à aider les réfugiés afghans contraints de quitter le Pakistan et l’Iran », ONU Info, 29 avril 2025 [en ligne]. Et la Turquie en a expulsé près de 45.000 vers l’Afghanistan. Voir « La Turquie refoule des Afghans à sa frontière avec l’Iran », Human Rights Watch, 18 octobre 2022 [en ligne].

+ -

7.

En 2023, la moyenne du PIB par habitant de la zone euro était de 37.910 dollars [en ligne], et estimé à 415 dollars pour l’Afghanistan, de 4.466 dollars pour l’Iran et de 1.365 dollars pour le Pakistan [en ligne].

+ -

Tout est fait pour restreindre la présence afghane sur leur territoire. Il en va de même en Turquie où stationneraient aux alentours de 300.000 Afghans. Depuis la chute de Kaboul, le gouvernement turc a mis en place l’expulsion vers l’Afghanistan de milliers de réfugiés à l’aide de vols spécialement dédiés. Toutes ces politiques de refoulement se sont accélérées depuis 20216, ce qui précipite vers l’Europe un nombre croissant d’Afghans. Car, dans ce contexte, l’Europe apparaît comme la zone à atteindre pour bénéficier de meilleures conditions de vie. D’autant plus que les 20 ans de présence occidentale active, aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001, ont permis la mise en place de liens qui ont, en retour, incité les Afghans à venir en Europe en particulier.

Durant toutes ces décennies, la migration afghane a été aussi suscitée par les difficultés économiques que les pluies de dollars n’ont pas réussi à combler, dans un pays où la classe politique installée protégée par les forces de l’OTAN s’est avérée particulièrement corrompue. Aujourd’hui, le PIB par habitant en Afghanistan demeure un des plus faibles au monde. Il est cent fois inférieur à la moyenne européenne7.

Subsistence Insecurity Index
Foyers dont les conditions d’existence élémentaires ne sont pas assurées

Source :

“Afghanistan Socio-Economic Review”, Programme des Nations Unies pour le développement, avril 2025 [en ligne].

Remarque : l’indice de subsistance (“Subsistence insecurity index”) a été créé par le PNUD pour pallier le manque de statistiques sur la pauvreté en Afghanistan. C’est un sondage qui questionne les foyers afghans sur 16 aspects de leur vie quotidienne (nutrition, accès aux soins, logement…), les réponses permettent de mesurer le sentiment de foyers afghans de vivre dans la pauvreté.

Taux de chômage selon l’âge et le sexe
% de la population en âge de travailler

Source :

“Afghanistan Welfare Monitoring Survey (AWMS)”, Banque Mondiale, octobre 2023 [en ligne].

Note : En raison de fortes variations saisonnières de l’emploi, les estimations issues de l’IELFS 2019-2020 ont été calculées sur les mois correspondant au travail de terrain de la phase R3.

I Partie

La ruée afghane vers l’Europe

Notes

8.

Organisation internationale des migrations (IMO-OIM), “Migration, asylum and refugees in Germany: Understanding the data”, janvier 2016.

+ -

Dans l’histoire de la migration afghane vers l’Europe, l’année 2015 a été un moment charnière. Cette année-là, l’Union européenne a délivré 2,6 millions de nouveaux titres de séjour dont de nombreux titres pour des Afghans, pour 320 millions d’Européens, soit, en proportion, beaucoup plus de migrants que pour les États-Unis, réputés être un grand pays d’immigration, qui en ont délivré, la même année, 1 million pour 340 millions d’habitants. Et, à partir de cette date, ce n’est pas uniquement le volume des arrivées qui est notable, c’est aussi la reconfiguration des lieux d’arrivée de l’immigration afghane dans les différents pays comme l’ouverture de nouvelles routes vers l’Union européenne.

Ainsi va apparaître un couloir d’accès vers l’Union européenne traversant la Serbie. Il va être emprunté par plusieurs centaines de milliers de demandeurs d’asile, issus principalement du Moyen Orient et d’Asie méridionale. Les Afghans vont s’y engouffrer. En particulier ceux qui voient dans l’Allemagne et les pays scandinaves, une sorte de « Graal8 ».

Routes de l’immigration afghane vers l’Europe

Source :

“Afghan Displacement Summary Migration to Europe”, Danish Refugee Council, novembre 2017 [en ligne].

En chiffres absolus la demande d’asile afghane, au sein de l’Union européenne a été multipliée par cinq. Au cours de l’année 2015, en arrondissant, la demande d’asile passe de 42.000 à 195.000. Elle diminue légèrement en 2016, pour chuter en 2017. Ce qui atteste de l’effet aspirant qu’a eu, en 2015, l’initiative de la chancelière allemande Angela Merkel de suspendre le règlement Schengen pour son compte, c’est-à-dire d’ouvrir les frontières de son pays à tous ceux qui souhaitaient s’y installer. À cette époque, l’accélération des arrivées afghanes en Europe n’est pas liée aux évolutions ou aux basculements de la situation en Afghanistan, même si la poursuite de la guerre civile, le début du retrait des forces américaines et l’intensification des attentats de l’État islamique au Khorasan peuvent en partie l’expliquer.

Fondapol : Les attentats islamistes en Afghanistan (1979-2024)

Source :

Les attentats islamistes dans le monde 1979-2024, Fondapol, octobre 2024 [en ligne].

Note : Dans les trois éditions de notre étude, parues en 2019, 2021 et 2024, l’Afghanistan est à chaque fois le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, en nombre de morts et nombre d’attentats.

Indice de souffrance ressentie en Afghanistan (2008–2023)

Source :

Khorshied Nusratty et Julie Ray, “Freedom Fades, Suffering Remains for Women in Afghanistan”, Gallup, 10 novembre 2023 [en ligne].

Autre chose se joue. Globalement, la situation était restée constante. C’est bien « l’opportunité syrienne », c’est-à-dire la fuite des Syriens vers l’Europe, qui est le moteur de l’asile afghan. La route vers l’Europe s’est « ouverte » du fait de l’exode syrien, qui a créé une fenêtre géopolitique favorable aux migrations – que d’autres populations, comme les Afghans, ont pu utiliser.

S’amorce ainsi dans la période, un déport vers l’Europe à travers l’Iran, le Pakistan et la Turquie qui deviennent en partie des pays de transit, même si de nombreux Afghans continuent d’y demeurer. On quitte ces pays dès que l’on peut, pour atteindre l’Europe occidentale ou septentrionale. En Europe, de manière concrète, le pays de première entrée est théoriquement celui qui accorde ou non l’asile, et qui a la charge de reconduire celui qui est débouté. Ces règles ont été précisées par les États membres de l’UE lors d’une rencontre à Dublin, d’où le nom « d’accords de Dublin ».

Au sein même de l’Union européenne, les implantations afghanes se reconfigurent, ce que le vocabulaire administratif nomme des « mouvements secondaires ». Un mouvement secondaire est le déplacement d’une personne de l’État membre responsable d’une demande d’asile vers un autre État membre. Ce phénomène a gravement endommagé le système Dublin au moment des arrivées importantes, en 2015 et 2016, puisqu’il a désorganisé le processus de désignation de l’État responsable et mis à mal le principe de demande d’asile unique dans l’Union. C’est ainsi que dans cette conjoncture, les mouvements secondaires ont subverti le principe de demande d’asile unique.

Les accords de Dublin

Lorsqu’un État reçoit une personne souhaitant demander l’asile, il se doit de vérifier si un autre État n’est pas responsable de sa demande, notamment dans le cas où le candidat y aurait transité, voire y aurait déjà déposé une demande d’asile. C’est le règlement dit « Dublin » qui visait initialement à responsabiliser les États de première entrée et à rassurer les États de destination secondaire au sein de l’Union. Le règlement « Dublin » s’est montré défectueux puisqu’il n’empêche pas une personne de redéposer, au bout de 18 mois, une demande d’asile dans un autre pays. De plus, le demandeur d’asile, dans l’attente d’être renvoyé dans le pays de première entrée, c’est-à-dire dans le pays où il a été une première fois enregistré lors de son passage, doit bénéficier de l’allocation de demandeur d’asile et d’un hébergement.

C’est cette faiblesse que le nouveau Pacte migratoire tente de corriger, non en interdisant le dépôt d’une nouvelle demande d’asile, mais en privant de toute ressource le demandeur qui relève d’un autre État afin de l’obliger d’y retourner.

Le règlement de Dublin : « Note de synthèse : Les mouvements secondaires des bénéficiaires de la protection internationale », Réseau Européen des Migrations (REM), 20 septembre 2022 [en ligne].

II Partie

Les mouvements secondaires

Notes

9.

Eurostat, « Décisions de première instance sur les demandes d’asile par type de décision, nationalité, âge et sexe – données annuelles agrégées », mise à jour du 22 mai 2025 [en ligne].

+ -

10.

Voir la note de Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration, fin de l’homogénéité ?, Fondapol, septembre 2018 [en ligne].

+ -

11.

Avant la prise de Kaboul en 2021, les taux de reconnaissance des Afghans – soit la part des décisions d’octroi d’une protection sur le nombre total de décisions – variaient fortement en fonction des États membres de l’Union responsables de l’instruction de la demande d’asile. Ainsi, l’Italie accordait une protection internationale à 93,8% des demandeurs d’asile afghans en 2020, tandis que la Suède oscillait autour des 40%. La France était autour de 80%.

+ -

Ces mouvements secondaires découlent, en outre, d’une autre faiblesse majeure: les écarts de taux de protection dans l’Union européenne. Le taux de protection correspond au nombre de personnes protégées par rapport au nombre de ceux qui demandent une protection au titre de la convention de Genève sur le droit d’asile. Ce taux n’est pas harmonisé dans l’ensemble des États membres. En 2024 (deux à trois ans après la chute de Kaboul), la variation du taux de protection des Afghans en première instance est comprise entre 11% et 92% dans les pays de l’Union9.

C’est donc ces divergences d’appréciation ainsi que l’absence d’une liste européenne des pays d’origine qualifiant leur niveau de sécurité et d’une analyse partagée des risques connus dans ces pays, qui ont poussé les demandeurs d’asile afghans à se déplacer vers les plus offrants depuis 2015.

Les règles fixées par les accords de Dublin n’empêchent pas les demandeurs d’asile déboutés d’un pays de l’Union d’en rejoindre un autre. Ainsi, nombre d’Afghans déjà présents au sein de l’Union, en Grèce, mais aussi en Hongrie, par exemple, se tournent vers les pays d’Europe du Nord. Cette analyse est corroborée par les chiffres. Si, en 2015, la Hongrie enregistre 46.000 demandes afghanes, elles ne sont plus que 11.000 en 2016. Cette diminution s’explique également par la décision de fermeture de la frontière hungaro-serbe et hungaro-croate par les autorités hongroises alors que dans le même temps s’ouvrent les frontières austro-hongroise et germano-autrichienne. Les Afghans présents en Hongrie peuvent alors quitter le pays par le nord. Cette fermeture des frontières méridionales de la Hongrie entraîne une progression des passages par la Croatie. Alors que les demandes d’asile dans ce pays étaient presque inexistantes en 2015, elles vont atteindre 700 en 2016. Cependant, ces demandes ne signifient pas un renoncement à poursuivre le chemin plus à l’ouest et au nord, et par la Slovénie. À partir de 2016, ce pays enregistre aussi quelques centaines de demandes. Mais c’est bien à l’ouest et au nord que le phénomène est particulièrement notable.

En Suède, les demandes d’asile passent de 3.000 en 2014 à 41.000 en 2015. Face à cet afflux massif, le pays réagit rapidement en adoptant des politiques de fermeture: il restreint les droits des demandeurs d’asile, limite les reconnaissances du besoin de protection, et intensifie les expulsions des personnes déboutées10. Contrôles aux frontières, réduction des droits liés au statut de réfugié, baisse des taux de protection des demandeurs d’asile afghans, mise en œuvre d’expulsions vers Kaboul, autant de mesures qui visent à détourner la demande afghane d’asile11. L’effet dissuasif est notable dès 2016, la Suède n’enregistre plus que 3.000 demandes afghanes ce qui confirme qu’il y a bien un rapport entre une politique d’accueil ou de fermeture interne et le nombre d’arrivées.

Il en va de même pour le Danemark. Ce pays enregistre, en 2015, environ 21.000 demandes d’asile. Si elles sont majoritairement syriennes, dans le flux se présentent 3.500 Afghans. Dès 2019 une politique dite « zéro réfugié » est mise en place par les autorités danoises (le pays n’étant pas signataire des conventions de Dublin). En 2020, le Danemark n’enregistre plus que 1.500 demandes d’asile, 860 en 2024. Les Afghans ont quasiment disparu. La Norvège et la Finlande connaissent des évolutions analogues.

Demandes d’asile déposées par les Afghans dans les pays de l’Union européenne

Source :

« Demandeurs d’asile par type, nationalité, âge et sexe – données annuelles agrégées », Eurostat [en ligne].

Notes

12.

« Nous le faisons » sont les mots prononcés par Angela Merkel le 31 août 2015 lorsqu’elle accueillit à bras ouverts, sans formalités administratives, le million de migrants Syriens, Afghans, Irakiens venus par le train en Allemagne.

+ -

La politique de fermeture des pays du nord de l’Europe provoque un déport vers l’Europe occidentale. Non seulement les nouveaux entrants dans l’espace Schengen ne se précipitent plus vers les pays scandinaves, mais c’est aussi l’Allemagne qui devient moins attractive. Après le « wir schaffen das12 » qui avait fait de l’Allemagne la première destination des Afghans, les demandes d’asile afghanes décroissent. De 127.000 en 2016 elles ne sont plus que 18.000 dès 2017.

III Partie

La France, pays de l’asile afghan

Notes

13.

Voir le rapport de l’IGA, Jean Aribaud et Jérôme Vignon, « Rapport à Monsieur le ministre de l’Intérieur sur la situation des migrants dans le Calaisis », Ministère de l’Intérieur, juin 2015 [en ligne]. Les derniers comptages faisaient état, au moment du démantèlement, de la présence de 7.000 migrants dans le bidonville de la Lande de Calais.

+ -

14.

Les Anglais y sont arrivés la première fois en 1839, pour y mener la première guerre anglo-afghane, de 1839 à 1842 qu’ils ont perdue. Ils ont ensuite obtenu une accréditation pour une mission diplomatique permanente à Kaboul pour contrebalancer l’influence russe. Par la suite, la Grande Bretagne est devenue un des pays de l’asile afghan.

+ -

15.

La famille royale afghane, notamment sous le règne de Mohammed Zaher Shah, avait des liens étroits avec la France. Le roi Mohammed Zaher Shah, qui a régné de 1933 à 1973, avait été éduqué en partie en France. Cette éducation avait influencé son ouverture culturelle et son approche modernisatrice du royaume. Plusieurs membres de la famille royale parlaient le français et affichaient leur francophilie.

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16.

Des Ukrainiens déposent une demande d’asile tout en étant bénéficiaires de la protection temporaire, dispositif activé par l’Union qui leur donne droit à une allocation, à pouvoir travailler immédiatement, et à des droits sociaux, avantages que n’ont pas les simples demandeurs d’asile. Pour des raisons sans doute liées au choix des autorités françaises de les obliger à renouveler tous les 6 mois le titre de protégés temporaires, des Ukrainiens s’inscrivent dans la demande d’asile. C’est une anomalie française puisque 50% de la demande d’asile ukrainienne au sein de l’Union est enregistrée en France.

+ -

Dans ce contexte, après l’Allemagne, la France est destinataire depuis 2015 de mouvements secondaires afghans, alors que jusque-là, l’hexagone était essentiellement considéré comme un pays de transit, en particulier vers la Grande-Bretagne d’où la forte présence des Afghans à Calais, à partir de 2016, avant le démantèlement du campement de la Lande de Calais13. Cette attractivité du Royaume-Uni s’explique par ses liens historiques avec l’Afghanistan14. L’Office for National Statistics (ONS) estime qu’il y avait 79.000 personnes nées en Afghanistan vivant au Royaume-Uni en 2019. Ce chiffre est passé à 85.693 lors du recensement de 2021 pour l’Angleterre et le Pays de Galles à 116.167 en 2024. En 2024, près de 8.500 Afghans y ont demandé l’asile, soit quasiment 8% du total. Les Afghans sont depuis 2015, la nationalité la plus représentée parmi les arrivées par « small boats ». En 2024, ils ont été 5.900 à débarquer en Angleterre par ce moyen. Mais contrairement à la France, la migration afghane s’étale sur une plus longue période. Entre 1994 et 2006, environ 36.000 Afghans ont demandé l’asile au Royaume-Uni. Les demandes d’asile afghanes en France ne dépassaient pas 472 en 2014. Cette faiblesse peut être vue aussi comme la résultante de liens quasi inexistants avec ce pays, contrairement à ceux qui se sont tissés avec la Grande- Bretagne. Même s’il a existé à partir des années 1920, une coopération dans le domaine archéologique15, le lien tangible, et le plus récent, avec la France a été la participation de notre pays à la coalition militaire entre 2001 et 2012. Or, contre toute attente, à partir de 2015 la demande d’asile afghane devient exponentielle. En 2015 sont enregistrées 2.200 demandes. En 2016 un peu moins de 6.000 demandes (5.989). On comptait en 2023 17.550 premières demandes dont 812 mineurs non accompagnés (MNA), contre 9.455 en 2018. Ceux-ci représentaient en 2023, 61% du total des MNA ayant déposé une demande d’asile. Les Afghans sont en tête des nationalités demandant l’asile en France. Ils sont encore plus de 13.000 à avoir déposé une demande en 2024, n’étant dépassés en nombre que par les demandes exceptionnelles formulées par les Ukrainiens, qui occupent désormais la première place parmi les primo-demandeurs16.

Source :

« Rapport d’activité 2023. À l’écoute du monde », Ofpra, 9 juillet 2024, p.53 [en ligne].

Nationalités d’origine des premières demandes d’asile en France

Source :

« Les demandes d’asile », Ministère de l’Intérieur, 4 février 2025 [en ligne].

Notes

17.

Le nombre de personnes ayant demandé l’asile en Suède en 2024 s’est élevé à 9.645, soit le chiffre le plus bas depuis 1996 et une baisse de 42% par rapport à 2022. En 2015, au plus fort de la crise des migrants, la Suède a enregistré quelque 162.877 demandeurs d’asile, soit le nombre le plus élevé par habitant dans l’UE. “Asylum seekers 2002-2024”, Statistics Sweden, 21 février 2025 [en ligne].

+ -

18.

En 2024, le taux de protection Ofpra s’élève à 67,4%. Le taux de protection global (après recours à la CNDA) est de 79,7%. Les femmes représentent 1/3 de la demande d’asile en 2024.

+ -

19.

La presse avait évoqué ce sujet : « Les familles et citoyens suédois conseillent à ces jeunes Afghans qu’ils ont aidés, hébergés, soutenus, de se rendre en France, où le taux d’acceptation des demandes d’asile déposées par des Afghans est élevé. Le réseau d’aide aux migrants passant notamment par les paroisses, le bouche-à-oreille conduit ces jeunes hommes à frapper, au bout de leur route, à la porte de l’Église suédoise de Paris. » Voir Delphine Evenou, « Les réfugiés afghans de l’église suédoise de Paris », France Inter, 15 octobre 2018 [en ligne].

+ -

20.

Données OFII.

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Alors que les autres pays de l’Union européenne restreignent l’accès à l’asile, la demande afghane en France demeure soutenue, portée par des taux d’accord de l’Ofpra nettement plus élevés qu’ailleurs en Europe, à l’exception de l’Italie où, toutefois, les conditions d’accueil restent moins favorables que de l’autre côté des Alpes.

Ces dispositions françaises plus favorables aux Afghans demeurent. En 2024, le taux moyen de protection des Afghans en Europe se situait à 63%, il demeurait très bas en Suède avec 40%17, il est resté au-dessus de 70% en France18. C’est du reste ce type d’écart qui avait déjà motivé des Afghans à quitter la Suède pour tenter leur chance en France comme pays de « rebond » dans le cadre des mouvements secondaires déjà décrits19.

De 2018 à 2023, entre 41 et 55% des Afghans ayant déposé une première demande d’asile en France en avaient déjà déposé une ailleurs dans l’UE, principalement en Suède ou en Allemagne. Cette part est descendue à 24% en 202420.

Répartition par procédure des primo-demandes d’asile afghanes en France

IV Partie

Des afghans peu formés

Notes

21.

La communauté afghane ne peut cependant se réduire aux seules personnes en possession d’un titre de séjour. Aux adultes s’ajoutent ceux dont la situation de minorité fait qu’ils ne relèvent pas d’un titre de séjour, et ceux ayant acquis la nationalité française.

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22.

« Étrangers et immigrés en 2019 », Insee, 26 juillet 2022 [en ligne].

+ -

23.

Sans oublier la prétention de la France à être protectrice des chrétiens de l’Empire ottoman depuis François 1er et qu’une tradition francophone y est très ancienne.

+ -

24.

Les Afghans se retrouvent plutôt au sein des mosquées turques.

+ -

25.

20% du parc d’hébergement des demandeurs d’asile qui comprend près de 120.000 places est situé dans des départements de moins de 500.000 habitants (rapport annuel de l’OFII pour l’année 2023).

+ -

26.

Les données présentées ont été élaborées à partir de questions posées à 69.115 Afghans ayant obtenu le statut de réfugié ou de protégé subsidiaire.

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27.

Rapport Ofpra pour 2023, annexe VII, page 132.

+ -

28.

Du fait de la faiblesse numérique du nombre d’Afghans, il n’y a pas de statistique sur le taux d’emploi. Cependant la comparaison internationale avec des marchés de l’emploi plus dynamiques permettent de considérer que les difficultés doivent être comparables. En Autriche le taux de chômage des Afghans était de 20,6% en 2022 tandis qu’en Allemagne il était de 29,9% en octobre 2024. Voir : „Zahlen, Daten, Fakten: Neue ÖIF-Factsheets über Syrer/innen und Afghan/innen in Österreich”, Ôsterreichischer Integrations Fonds, 2 juin 2023 [en ligne] ; „Migration une Arbeitsmarkt”, Bundesagentur für Arbeit [en ligne].

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29.

AGIR signifie « Accompagnement global et individualisé des réfugiés ». En 2024, 47 millions d’euros ont été consacrés au programme AGIR. Pour une information plus complète sur ce programme, voir Clément Soulignac et Alessio Raskine, « IM n° 113 – Les trajectoires professionnelles et résidentielles des réfugiés accompagnés par le programme AGIR », ministère de l’Intérieur, 13 décembre 2024 [en ligne].

+ -

30.

La plus grande communauté afghane d’Europe occidentale réside en Allemagne. En 2024, l’Office fédéral de la statistique d’Allemagne a estimé à 442.020 le nombre de personnes d’origine afghane résidant en Allemagne. Voir “Foreign population by place of birth and selected citizenships”, Statistiches Bundesamt, 10 avril 2025 [en ligne].

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31.

„Migration une Arbeitsmarkt”, Bundesagentur für Arbeit [en ligne].

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En l’espace de dix ans, un groupe afghan de plus de 100.000 personnes, inattendu par son ampleur, s’est constitué en France, dont les trois quarts sont arrivés après 2016. Le nombre des seuls adultes bénéficiant d’un titre de séjour en France est de 89.000 adultes en 202421. À titre de comparaison, en 2015 le total des protégés ne dépassait pas 4.500 (4.397) personnes. En 2007, l’Insee ne recensait que 1.600 Afghans sur le territoire22. Aux bénéficiaires actuels d’un titre de séjour s’ajoutent les 10.376 personnes qui étaient en cours de procédure Ofpra en 2024 et qui, en fonction des délais d’instruction, se verront délivrer un titre de séjour dans le courant de 2025, ou en 2026. Reste qu’elles sont déjà présentes sur le territoire puisqu’en cours de procédure de demande d’asile en France. Au cours des cinq premiers mois de l’année 2025, plus de 3.000 adultes afghans se sont enregistrés comme demandeurs d’asile. L’ensemble de ces données confirment la constitution en quelques années sur notre territoire, d’un groupe dépassant largement les 100.000 personnes.

Les Afghans figurent désormais parmi les dix premières nationalités titulaires d’un titre de séjour en France. Leur nombre dépasse même celui des Syriens détenteurs d’un titre de séjour, avec un effectif deux fois supérieur, alors même que les liens historiques entre la France et la Syrie sont bien plus anciens et profonds, la France ayant exercé un mandat sur ce pays à partir de 191823.

Le groupe des Afghans demeure dans une marginalité sociale, culturelle et cultuelle, tant les croyants trouvent peu de solidarité au sein d’un monde musulman dominé, en France, par les Maghrébins24. Des villes, petites ou moyennes, aussi inattendues qu’Aurillac, Vannes ou encore Colmar connaissent une présence afghane. Ce qui atteste de l’efficacité des politiques de répartition des demandeurs d’asile effectuées par les pouvoirs publics à partir du dispositif national d’accueil géré par l’OFII25. Après avoir obtenu leur protection, ces Afghans sont restés dans la ville ou le département où l’OFII les avait initialement orientés pour leur hébergement.

Les personnes protégées par l’Ofpra reçoivent automatiquement un titre de séjour pluriannuel de quatre ans (pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire) ou une carte de résident de dix ans (pour les réfugiés). Théoriquement, elles ne sont pas obligées de signer le contrat d’intégration républicaine (CIR), contrairement aux autres nouveaux titulaires d’un titre de séjour — à l’exception des ressortissants algériens. Toutefois, en pratique, l’OFII les oriente systématiquement vers la signature de ce contrat, qui leur donne accès à des cours de français gratuits et à un accompagnement vers l’emploi.

C’est cette prise en charge qui a permis de dresser un profil social de ce groupe afghan, d’autant qu’un bilan de situation, appelé « bilan de fin de CIR », est réalisé 12 à 18 mois après le premier contact avec l’OFII pour la mise en œuvre de leur contrat d’intégration.

Il en ressort comme caractéristique principale un faible niveau de scolarisation au sein du groupe afghan. Plus de 40% des personnes interrogées ont déclaré ne jamais avoir été scolarisées26. Vingt années de « république islamique » sous influence occidentale n’ont pas permis d’améliorer de façon significative la prise en charge scolaire des Afghans, qu’ils viennent des zones rurales ou urbaines. En 2021, avant la chute de Kaboul, seul un peu plus d’un quart de la population afghane vivait en zone urbaine. 30% des enfants âgés de 5 à 17 ans étaient recensés comme exerçant une activité contraire à toute scolarisation. La moyenne d’âge des primo-demandeurs d’asile afghans (majeurs) en France était de 27,4 ans en 202327. Cela veut dire que le moment éventuel de leur scolarisation se situait dans les 20 ans de la présence occidentale. On en mesure ainsi un des aspects de l’échec.

Près de 19% des Afghans déclarent avoir un niveau scolaire ne dépassant pas celui de l’école primaire, et même un niveau inférieur à ce qu’était notre certificat d’étude primaire, en raison de difficultés en lecture et en écriture. Et 10% ne savent ni lire ni écrire dans leur langue maternelle. Enfin, 17% déclarent un niveau d’étude supérieur au baccalauréat.

Cela a des incidences sur leur insertion sociale, et leur accès à l’emploi. C’est ainsi que 18 mois après la signature du CIR et la fin des cours de français, 57% des signataires déclarent être sans emploi28. Cela s’explique en grande partie par le fait que seuls un peu plus de la moitié des apprenants en français langue étrangère atteignent le niveau A1, correspondant à un niveau de langue élémentaire du français. Ces données justifient les efforts faits en leur direction par l’administration. En 2024, 30% des bénéficiaires du programme AGIR29 qui vise à accompagner les réfugiés afin qu’ils puissent accéder à une formation, à l’emploi et à un hébergement, étaient des Afghans.

Faible niveau de formation et difficultés dans l’apprentissage de la langue, conduisent à penser que si des données existaient, elles souligneraient probablement les fortes difficultés d’intégration. Cependant, ces données sociales ne sont pas disponibles dans notre pays, les Afghans ayant été intégrés, dans les données de France Travail, dans la rubrique générale des personnes relevant du continent asiatique.

D’autres pays ont cependant mis en place un suivi plus fin. Ainsi en Allemagne, autre grand pays de la présence afghane avec une population estimée à 425.000 personnes30, le taux de chômage des Afghans – des deux sexes – était de 30% en octobre 2024, soit six fois plus élevé que celui des Allemands (5,3%). Il s’élève même à 53% parmi les Afghanes. Le taux d’emploi des Afghans des deux sexes – c’est-à-dire la part de ceux qui sont dans l’âge actif et qui occupent effectivement un emploi – est de 42%… soit un taux inférieur de près de 30 points au taux d’emploi des Allemands (71%). La sous-intégration des Afghanes dans le marché du travail allemand est particulièrement marquée: seules 21% des Afghanes en âge de travailler occupent un emploi soit presque 50 points de moins que les Allemandes (70%), ce qui conforte le constat d’un très fort écart culturel en la matière et vient relativiser l’idée selon laquelle les flux d’asile permettraient de fournir les pays d’accueil en main-d’œuvre employable31.

V Partie

Un problème important d’ordre public

Notes

32.

Chapter 1 : Beliefs About Sharia in “The World’s Muslims: Religion, Politics and Society”, Pew Research Center, 30 avril 2013 [en ligne].

+ -

Une étude du Pew Research Center de 2013 faisait apparaître la difficulté d’intégrer les Afghans, ceux-ci se déclarant à 99% favorables à la charia et 85% à la lapidation en cas d’adultère32.

Soutien à la charia comme loi officielle
% des musulmans qui disent que la charia devrait être la loi officielle

Source :

“The World’s Muslims: Religion, Politics and Society”, Pew Research Center, 30 avril 2013 [en ligne].

*Le Liban reconnait 18 communautés religieuses (dont certaines non-musulmanes).

Soutien aux attentats-suicides
% des musulmans qui disent que les attentats suicides pour défendre l’islam sont…

Source :

“The World’s Muslims: Religion, Politics and Society”, Pew Research Center, 30 avril 2013 [en ligne].

Notes

33.

Parmi les détenus, les Afghans étant intégrés dans la rubrique générale « Asie-Océanie ».

+ -

34.

„T62 Straftaten und Staatsangehörigkeit nichtdeutscher Tatverdächtiger (V1.0)”, Bundeskriminalamt [en ligne]. Il pourrait être ajouté aux troubles à l’ordre public en France que, sur 15.872 enquêtes administratives qui ont été mises en œuvres en 2017 (contre 3.742 en 2015) pour l’application des clauses d’exclusion de la protection subsidiaire, 47% concernaient des Afghans. Voir Catherine Teitgen-Colly, Le droit d’asile, PUF, 2025, p. 50. Les Afghans ont aussi été la première nationalité pour les retraits et cessations de statuts de protection en 2023. Voir « Rapport d’activité 2023. À l’écoute du monde », Ofpra, 9 juillet 2024, annexe 13, p. 145 [en ligne].

+ -

35.

« L’Allemagne expulse des Afghans, une première depuis le retour au pouvoir des Talibans », France 24, 30 août 2024 [en ligne].

+ -

De fait, comme pour d’autres nationalités, les difficultés d’intégration se mesurent, en particulier, à l’implication dans des troubles à l’ordre public. La France n’a pas dans ce domaine de statistiques disponibles, si ce n’est que la part des étrangers parmi les condamnés détenus est de 25%, alors que la part des étrangers dans la population totale est de 8,2%33. Il ressort des données allemandes que, alors que les Afghans ne comptaient que pour 0,5% de la population de l’Allemagne fin 2024, ils sont 5 fois plus représentés parmi les mis en cause pour l’ensemble des infractions enregistrées dans ce pays durant l’année 2024 (2,3%). Si une part de la délinquance peut être liée à des nécessités de survie ou à des facteurs de précarité, cette surreprésentation est particulièrement marquée pour des crimes et délits de nature sexuelle, ce qui a en partie un lien avec les difficultés des rapports femmes-hommes et la dévalorisation des femmes qui est un problème culturel majeur, comme on le sait, en Afghanistan.

Les Afghans en Allemagne sont notamment 21 fois plus représentés parmi les mis en cause pour abus sexuels sur mineurs. Ils comptaient pour 10,5% du total desdits mis en cause, contre 0,5% de la population générale ; 16 fois plus représentés parmi les mis en cause pour sollicitation d’actes sexuels de la part de mineurs; 16 fois plus représentés pour proxénétisme; 14 fois plus représentés dans la distribution, l’acquisition, la possession et la production de pornographie enfantine ; 10 fois plus représentés dans les atteintes violentes aux personnes (« crimes de brutalité et crimes contre la liberté individuelle »).

On retrouve aussi une surreprésentation d’Afghans dans des crimes de type mafieux. Ils sont 9 fois plus représentés dans les vols à main armée contre des établissements financiers (banques / caisses d’épargne) ; 8 fois plus dans les « vols qualifiés dans les bureaux et agences postaux » ; 7 fois plus représentés dans les « vols et extorsions de fonds sur / contre les convoyeurs de fonds34 ». C’est cette réalité délinquante qui amène des pays à rechercher les moyens d’expulser vers l’Afghanistan ceux qui ont rompu, par leurs actes, le pacte d’hospitalité, en particulier ceux qui présentent une menace pour l’ordre public. La France, confrontée à cette nécessité, s’était heurtée à l’interdiction de renvoyer à Kaboul des Afghans fichés S parce que Talibans. Seule l’Allemagne a annoncé contourner cette interdiction35.

VI Partie

Des femmes quasiment invisibles

Notes

36.

En janvier 2023 ces opérations ont concernées 6.131 personnes lors d’évacuations qui se sont étalées sur plusieurs mois. Le rapport femmes/hommes était de l’ordre de 50%. Depuis 2023, seules des opérations ponctuelles demeurent et concernent uniquement des femmes. Voir : « Opération APAGAN : accueillir les réfugiés menacés par les Talibans », Ministère de l’Intérieur, 23 janvier 2023 [en ligne].

+ -

37.

Voir à ce sujet l’article de Catherine Maia, « La reconnaissance par la CJUE de l’appartenance des femmes à un groupe social susceptible d’ouvrir droit au statut de réfugié », Club des juristes, 1 mars 2024 [en ligne]. Le 16 janvier 2024, dans son arrêt WS rendu dans l’affaire C-621/21 en réponse à une demande de décision préjudicielle par le juge bulgare, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue fournir d’importantes précisions sur les motifs permettant aux femmes victimes de violences dans leur pays de bénéficier d’une protection internationale. Réunie en grande chambre, la CJUE a jugé que les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social au sens de la directive 2011/95/UE (directive « qualification ») de l’Union européenne (UE) et bénéficier du statut de réfugié si les conditions prévues par cette directive sont remplies. Tel est le cas lorsque, dans leur pays d’origine, elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et domestiques. Si les conditions d’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies, elles peuvent bénéficier du statut de la protection subsidiaire, notamment lorsqu’elles courent un risque réel d’être tuées ou de subir des violences.

+ -

Entre 2015 et 2024, 85% des demandeurs d’asile ont été des hommes. Par comparaison, sur la même période, 1.064.946 personnes ont signé un CIR, 47,81% étaient des femmes. Ce constat souligne plus encore la dominante masculine au sein de l’immigration afghane.

La part des femmes dans l’ensemble des personnes afghanes présentes en France et bénéficiant d’un titre de séjour n’atteint pas 18%. La mixité lors des arrivées d’Afghans demandant l’asile ne s’est vue que lors des opérations réalisées, entre 2021 et 2022, après la chute de Kaboul, dans le cadre de ce qui avait été appelé les opérations « Apagan36 ».

Cependant, une certaine féminisation passe par le regroupement et la réunification familiale. La réunification familiale concerne une personne désignée comme partenaire par le demandeur d’asile, ce qui lui confère le droit de le rejoindre après l’obtention du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Le regroupement familial concerne une personne qui a été déclarée comme conjoint ou conjointe après l’obtention de l’asile ; après l’accès à la nationalité, la procédure de rapprochement passe par l’octroi du titre « Famille de Français ». De 2015 à 2024, 1.398 personnes sont arrivées par le biais de la réunification familiale et ont signé un CIR, 601 par le biais du regroupement familial. Des femmes à 80%. On note une accélération des regroupements familiaux. En 2015, seuls 25 étaient comptabilisés. Jusqu’en 2020, ils demeurent inférieurs à 200 par an. On en compte 479 en 2022, après la période Covid, 701 en 2023, 1.094 en 2024. Enfin, 410 Afghanes sont arrivées en France en tant qu’épouses de ressortissants français.

Cette faiblesse de la présence des femmes mérite d’être analysée, et ce d’autant plus qu’elles constituent, selon la CJUE et la CNDA un « groupe social37 » collectivement éligible à l’asile. Sur les 600.000 personnes, toutes nationalités confondues, actuellement protégées, la part des femmes est de 41%. Alors même que leurs routes migratoires passent généralement par les zones effroyables que sont la Lybie, le Niger, et dans une moindre mesure la Tunisie. Les migrations africaines qui traversent la Méditerranée sont davantage mixtes. Ainsi, 46% des résidents venant du continent africain, sur les plus de 220.000 personnes bénéficiaires d’une protection, sont des résidentes. Certaines nationalités sont même majoritairement représentées par des femmes. C’est ainsi que 70% des Ivoiriens sont des Ivoiriennes. Certes le taux de protection des hommes ivoiriens est faible, ce qui explique cela. Sont présentes en France plus de Sénégalaises protégées (60%) que de Sénégalais, plus de Nigérianes (64%) que de Nigérians. Il faut noter que la « traite des êtres humains », c’est-à-dire essentiellement dans ce cas, l’obligation de se soumettre à la prostitution, une traite organisée par les membres de leur communauté, explique en grande partie cette surreprésentation des femmes.

La part des femmes dans les bénéficiaires d’une protection venant du continent asiatique est de 33% sur plus de 235.000 personnes protégées soit un pourcentage inférieur aux migrations africaines. Mais malgré cela, la surreprésentation des hommes afghans étonne en comparaison d’autres pays de la même aire géographique. Ainsi parmi les dizaines de milliers de Syriens présents en France, on compte une part de femmes qui dépasse 46% ; chez les Sri-Lankais, cette part est de 37%.

Le faible nombre de femmes afghanes présentes sur le sol français ne peut s’expliquer uniquement par les difficultés des routes migratoires. Il est aussi le reflet d’une mentalité profondément enracinée dont les hommes, même réfugiés, demeurent imprégnés. Car si l’on relève des tentatives de prise en compte du sort des femmes en Afghanistan dans une volonté de modernisation, ce fut des périodes très courtes, avec quelques acquis aussitôt remis en cause, jusqu’à leur complète disparition depuis 2021. Ainsi, en 1928, sous l’impulsion de la reine Soraya, épouse du roi Amanullah Khan (1919-1928), qui ne portait pas le voile en permanence, l’âge de mariage des filles avait été fixé à 18 ans et la polygamie interdite. L’instruction des filles était encouragée. Il était également décidé que des filles seraient envoyées à l’étranger pour y poursuivre des études. Tout cela a été remis en cause, à partir de 1929, sous le règne de Nadir Shah (1929-1933). Il ferme toutes les écoles pour filles, préfigurant ainsi la mesure que viennent de prendre les Talibans. À partir de 1933 s’ouvre une nouvelle période qui se prolongera jusqu’en 1973 sous le règne de Zahir Shah. Des filles retrouvent le chemin de l’école dans le même temps où des femmes accèdent à des fonctions publiques comme à diverses professions. En 1959 est déclaré facultatif le port du hijab. Des femmes sont représentantes au sein de la Loya Jirga, c’est-à-dire le parlement traditionnel, et entrent au gouvernement.

Cette politique d’égalité sociale, dans le cadre d’une politique qui se veut marxisante, se poursuit sous le gouvernement communiste qui se met en place à partir de 1978. L’égalité des droits entre les femmes et les hommes est inscrite dans la loi. L’alphabétisation devient obligatoire pour les femmes. Elles sont incitées à travailler. Des jardins d’enfants sont créés. Des femmes conduisent des autobus et, plus généralement, travaillent dans les services publics. Cette présence des femmes dans l’espace public est contestée par les forces religieuses. Face à un gouvernement affaibli du fait des luttes internes entre fractions communistes, et qui ne peut plus compter sur le soutien des troupes soviétiques, les Moudjahidines prennent le pouvoir en 1996. C’est le début de la première expérience talibane. Elle va correspondre à une première période de soumission totale des femmes, accompagnée de tous les types de violences.

Scolarisation dans le secondaire selon le sexe

Source :

“Afghanistan Welfare Monitoring Survey (AWMS)”, Banque Mondiale, octobre 2023 [en ligne].

ALCS = Annual Living Conditions Survey : Enquête annuelle sur les Conditions de Vie des Ménages
IELFS = Integrated Economic and Labor Force Survey : Enquête intégrée sur l’économie et la population active
ITA = Interim Taliban Administration

Une stricte séparation entre les femmes et les hommes est instaurée; les femmes ne peuvent quitter leur domicile sans être accompagnées d’un mahram, un membre masculin de la famille. La nouvelle restriction imposée par les Talibans entrave la fuite des femmes et des filles vers la frontière pakistanaise. La scolarisation des filles est remise en cause. Les femmes désobéissant aux règles en vigueur sont fouettées publiquement. Aujourd’hui, les mesures se durcissent davantage encore, sous prétexte que l’émancipation des femmes relèverait d’une influence occidentale imposée à partir de 2001.

Il s’agit donc pour les Talibans de remettre en cause ce qui avait été acquis, et de renouer avec une histoire bien ancrée de l’oppression des femmes dans ce pays. Durant les vingt années de république qui ont suivi la chute des Talibans en 2001, les droits des femmes figuraient dans la Constitution. Des sièges leur étaient réservés au Parlement. Mais le soutien apporté à des gouvernements qui revendiquent une vision conservatrice de l’islam, dans le but de composer à la fois avec les forces religieuses et une partie des Talibans, n’a pas permis une véritable transformation intellectuelle et culturelle en faveur de l’égalité des droits pour les femmes.

Avez-vous le sentiment de pouvoir choisir votre vie ?

Source :

Khorshied Nusratty et Julie Ray, “Freedom Fades, Suffering Remains for Women in Afghanistan”, Gallup, 10 novembre 2023 [en ligne].

L’amélioration des conditions des femmes n’a concerné que des secteurs limités de la société. Leur maintien dans l’analphabétisme a été organisé sans grande résistance interne. Pour de nombreux hommes, la soumission des jeunes filles au mariage forcé autant que la polygamie, sont demeurées un sujet de fierté, en milieu, rural comme dans des zones urbaines. L’assimilation des femmes à des êtres mentalement déficients, inférieurs et devant être soumis aux hommes demeure un point de vue partagé par la plupart des Afghans et même par une part des femmes. Du fait de ces a priori profondément ancrés dans les mentalités, les hommes qui quittent l’Afghanistan aujourd’hui, pour des raisons multiples mais avant tout économiques, se préoccupent rarement d’associer des femmes à leur projet initial de migration, alors qu’il leur est interdit de circuler seules. D’où la proportion particulièrement faible de femmes au sein des groupes d’Afghans protégés.

Pourcentage de mineures mariées
2017 – par région (la majorité est fixée en Afghanistan à 18 ans)

Source :

“Afghanistan”, The Child Marriage Data Portal [en ligne].

Cette faiblesse de la présence féminine a des conséquences, au regard des enjeux d’intégration tant l’expérience montre que l’intégration par la famille, la présence d’enfants, permet, au travers de la dimension affective, d’accélérer bien souvent les mécanismes de socialisation. Des jeunes hommes ayant obtenu l’asile éprouvent des difficultés à intégrer les normes de civilité régissant les relations entre hommes et femmes, ce qui entraîne une multiplication d’incidents, plus ou moins graves, relayés dans la presse de faits divers. Il n’est pas facile de nouer des relations affectives légitimes lorsque d’importants écarts culturels entrent en jeu.

Pourcentage des mariées parmi les mineures selon le lieu de résidence, le niveau de revenus et le niveau d’éducation

Source :

“Afghanistan”, The Child Marriage Data Portal [en ligne].

La migration afghane met en lumière les obstacles à l’intégration de communautés qui, en raison de leur développement rapide, n’ont pas eu le temps nécessaire pour s’approprier en profondeur les valeurs de la culture républicaine. Cette difficulté est d’autant plus marquée que ces vagues migratoires se produisent dans un contexte où nos structures d’intégration sont affaiblies. Il en résulte que, plus encore que pour les anciennes immigrations, les structures communautaires, pour ne pas dire d’enfermement ou d’anomie, se sont substituées aux partis, aux syndicats au sein des lieux de travail, et même à l’école.

Le groupe d’accueil, ainsi renforcé, devient même un frein à l’intégration dans une nation civique, et ce d’autant plus que les écarts culturels ou religieux se sont durcis. À cet égard, s’il n’existe pas d’études précises concernant la France, on peut craindre qu’il n’y ait que peu d’écart entre la mentalité des Afghans présents en France et ceux présents en Europe.

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