«Ciel européen: la victoire de l’ultra low cost»
Emmanuel Combe | 16 août 2022
« L’ultra low cost affiche un coût au siège kilomètre imbattable, de l’ordre de 3 centimes. Par comparaison, un opérateur comme easyJet affiche un CSKO de 5 centimes »
« Fini les billets d’avion à 10 euros ! » : telle est la prédiction que vient de formuler le provocant patron de Ryanair Michael O’Leary. En prenant le soin d’ajouter que, hausse du prix du carburant oblige, le prix moyen du billet sur Ryanair passerait au cours des prochaines années de 40 à 50 euros. Une hausse certes de 25% mais pour un prix final qui restera imbattable.
Si O’Leary peut se permettre d’être aussi sûr de lui, c’est qu’il sait que son modèle a de fortes chances de poursuivre son irrésistible ascension dans le ciel européen. Son modèle, c’est celui de l’ultra low cost. Il faut en effet nettement distinguer, au sein du low cost, deux modèles très différents : l’ultra low cost et le middle cost. L’ultra low cost est représenté en Europe par Wizzair et Ryanair. Le middle cost par Vueling, easyJet ou Transavia.
L’ultra low cost présente plusieurs spécificités. En premier lieu, il décolle souvent d’aéroports secondaires, avec de faibles niveaux de taxes, et perçoit même parfois des subventions publiques. Le middle cost décolle quant à lui de grands aéroports. En second lieu, l’ultra low cost affiche un coût au siège kilomètre (CSKO) imbattable, de l’ordre de 3 centimes : cela signifie qu’un vol entre Beauvais et Marseille, d’une distance de 727 kilomètres, coûte en moyenne …22 euros. Par comparaison, un opérateur middle cost comme easyJet affiche un CSKO de 5 centimes.
En troisième lieu, l’ultra low cost opère souvent des lignes sur lesquelles les opérateurs historiques sont peu présents : il est en quelque sorte en monopole sur ses lignes et quadrille l’ensemble de l’Europe, avec de nombreuses bases. Tel n’est pas le cas d’easyJet, qui se retrouve souvent en concurrence frontale avec un opérateur historique.
Structure opportuniste. En quatrième lieu, l’ultra low cost cible d’abord une clientèle touristique et affinitaire, constituée de personnes qui ont une attache dans une région ou un pays (résidence secondaire, famille, etc). Avec la fin du confinement, cette clientèle est avide de reprendre l’avion et n’est pas trop regardante sur les horaires des vols et les fréquences. A l’inverse, les middle cost sont plus présents sur la clientèle affaires, plus exigeante et qui peine à revenir dans les avions depuis la crise du Covid, avec le développement de la visioconférence et des politiques RSE des grands groupes.
En dernier lieu, l’ultra low cost a été moins affecté que le middle cost durant la crise du Covid, compte tenu de sa structure organisationnelle très flexible et opportuniste. En effet, il se caractérise par de faibles coûts fixes par rapport aux coûts variables. Le premier poste de coût est le carburant tandis que le coût du personnel compte pour seulement 10 % du coût total chez Wizz Air et 13 % chez Ryanair. Qui plus est, durant la crise, l’ultra low cost a rapidement ajusté les dépenses, en diminuant fortement les rémunérations des personnels navigants et les frais de structure.
Il n’est donc guère surprenant, comme nous l’avions écrit dès mai 2020 dans une note de la Fondapol, que les premiers opérateurs à rebondir après la crise du Covid soient les ultra low cost. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la compagnie Ryanair est redevenue rentable au premier trimestre 2022 et compte transporter 165 millions de passagers cette année, redevenant ainsi le numéro un en Europe. Si elle parvient à tenir son cap de 225 millions de passagers d’ici 4 ans, elle deviendra même… le numéro un mondial.
Emmanuel Combe est professeur à Skema business school et vice-président de l’Autorité de la concurrence.
Lire l’étude sur lopinion.fr.
Emmanuel Combe, Après le Covid-19, le transport aérien en Europe : le temps de la décision, Fondation pour l’innovation politique, décembre 2020.
Aucun commentaire.