La révolution de la e-santé

18 avril 2018

« Le rapport patient-médecin a changé, le rapport du patient à sa santé aussi. Grâce aux objets connectés et aux applications de santé, le particulier dispose d’outils d’auto-mesure et de diagnostic auparavant réservés au cabinet médical ou à l’hôpital. (…) Mais s’agira-t-il encore de médecine ? Notre assurance maladie et nos mutuelles vont-elles introduire des systèmes de bonus-malus pour compenser les bons comportements ? Le big data va-t-il bouleverser notre système de santé ? ». Alexis Normand, auteur de la révolution de la e-santé et directeur du développement chez Withings, un des leaders des objets connectés pour la santé, tente une incursion au-delà des promesses vibrantes de la révolution numérique dans le secteur de la santé.

La révolution digitale du corps : Big et open data, leurre ou renouveau de la santé publique ?

 

La mesure de soi n’est plus l’apanage des grands sportifs, elle concerne aujourd’hui des millions de personnes, saines ou malades, de la démarche de prévention à la gestion de pathologies chroniques. Comme le souligne l’auteur, « cette volonté de mieux comprendre et maîtriser sa santé est le début d’un nouveau rapport à l’intime ». De la prévention à la guérison, du « cure » au « care », il semblerait que la mise a nu numérique de nos existences soit le prix de l’autodiagnostic à domicile. Mises en réseau, ces informations doivent théoriquement apporter un service plus précis, une veille sanitaire toujours mise à jour. C’est le cas des thermomètres connectés des sociétés Kinsa ou Withings, qui permettent de géolocaliser les foyers de fièvres grâce aux données mutualisées des patients. L’ambition d’un grand marché public des données de santé traverse ainsi l’esprit et le projet des plus grands acteurs de la santé connectée et celui des GAFA par la même occasion.  Du projet « génome humain », initié par le gouvernement américain en 1990, au lancement de la société californienne 23andMe qui propose un séquençage partiel pour moins de 100 dollars, les initiatives abondent: l’ADN n’est plus le terrain d’une lutte contre la maladie, mais un terrain de jeu. Face a cette effervescence, les pouvoirs publics restent discrets. Peut-être connaissent-ils la limite de leur pouvoir de sanction. Cependant, ces mêmes acteurs publics ont aussi à gagner dans la mise en commun des données, « le scandale du Médiator aurait pu être évité, dit-on, si les données des patients avaient été plus accessibles, pour la mise en œuvre d’analyses préventives ». Ultime résistance à l’avènement d’un marché des données de santé public : les professionnels du secteur, vent debout contre le partage des données, dans un souci de protection du secret médical et de la vie privée. Mais ici encore, une mise en perspective s’impose : est-ce le prix à payer afin de garantir une meilleure offre de santé publique ? Il en va d’un enjeu souveraineté sanitaire majeur.

 

Le numérique, ce nouveau territoire de santé.

 

A l’image de la résistance idéologique qui s’est développée face à la diffusion des machines-outils dans les prémices de la révolution industrielle en Grande-Bretagne, la santé connectée, comme beaucoup d’autres innovations avant elle, suscite inquiétudes et tensions. « L’exemple des machines-outils, devenu un classique dans l’histoire économique, permet de comprendre les différents types de résistance qui émergent face à une innovation. (…) L’objection peut être intellectuelle : les risques du changement sont immédiatement perceptibles et concentrés sur un petit nombre d’acteurs, tandis que les bénéfices paraissent de prime abord hypothétiques et dilués pour de nombreuses personnes ». Et la fascination qu’exerce la santé connectée sur le grand public ne doit pas pour autant faire perdre de vue, les enjeux éthiques d’un secteur en pleine genèse. Mais si l’Europe, qui a déjà raté la révolution de l’internet et des smartphones, s’avère incapable d’accompagner l’éclosion de la e-santé, elle sera une nouvelle fois doublée par la Chine ou les Etats-Unis, déplore Alexis Normand.   

 

L’explosion de la e-santé laissera-t-elle le médecin indemne ?

 

Dans un avis émis en 2016, le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) constatait « un risque de dérive vers du commerce électronique non-régulé qui réduirait la pratique médicale à une simple prestation électronique moyennant rétribution, via des plateformes du secteur marchand ». Les médecins sont les témoins d’une disruption majeure : celle de l’apparition de prestataires de santé non médicaux, s’appuyant sur des plates-formes. Pour certains professionnels de santé, cette expertise médicale est un manque à gagner manifeste. « Le CNOM s’alarmait d’une possible « ubérisation des professions médicales » perçue comme une relégation au second plan de la médecine ». Mais voilà, les innovations qui émeuvent autant l’ordre établi n’en sont pas moins des avancées, une tendance inscrite dans le mouvement de promotion du client roi, celui-là même qui exige le meilleur service, dans les meilleurs délais. « L’ère du patient est terminée, vient l’ère de l’impatience ». L’irruption des plateformes dans le secteur de la médecine est vécue comme une concurrence déloyale. Enfin, les médecins peinent à voir les avantages de l’e-médecine pour leur profession. Car le secteur de l’e-santé avance en marge du système de santé, sans que les professionnels ne changent réellement leur pratique au quotidien. Le clivage face à l’e-médecine est également générationnel : les praticiens de plus de 50 ans font preuve du plus de scepticisme. Par ailleurs, il n’existe pour l’heure aucun praticien en exercice, ayant reçu une formation en e-santé.

Restaurer la souveraineté et la confiance numérique.

 

« Sans naïveté, avançons vers la voie d’une souveraineté numérique qui ne doit pas devenir un refus en bloc de la technologie. Ce qui est en jeu n’est pas tant la perte d’autonomie de l’individu que la perte de souveraineté de l’Etat. Il ne faut surtout pas confondre les deux ». Et en effet, dans notre monde de données, notre quotidien et notre intimité s’exposent en une multitude de parcelles dont la centralisation, le contrôle mais aussi la protection, échappent aux Etats. Les plateformes, dans l’inversion du rapport de force, dictent les nouvelles règles du partage de la précieuse ressource. Et dans cette nouvelle géopolitique de l’internet les tactiques s’opposent : quand la Russie impose des hébergeurs sur le sol national, l’Europe étend le pouvoir de sanction aux autorités de contrôle à l’extérieur de son territoire dans un règlement de 2016. Renforcer une souveraineté numérique sanitaire est un véritable challenge, car si les principes de protection des données sont déjà bien établis, comme le rappelle Alexis Normand, le droit ne suffit pas à créer la confiance, « les utilisateurs doivent s’approprier, par l’usage, des outils leur donnant l’assurance que ces droits sont effectifs ».

 

Farid Gueham

Pour aller plus loin :

–       « Site participatif, thermomètre connecté, la maladie sous surveillance »bfmtv.com

–       « Données de santé : la France à la traîne dans le suivi des maladies », lesechos.fr

–       « Les données de santé doivent rester confidentielles », sudouest.fr

–       « Ubérisation de la santé », communiqué de l’ordre national des médecins.

–       « Ubérisation de la santé, les médecins sur leurs gardes », lexpress.fr

Photo by Autumn Goodman on Unsplash

 

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