Actes antisémites en France : ce que les premières enquêtes révèlent de leurs auteurs
Christel Brigaudeau, Vincent Mongaillard | 10 novembre 2023
Plus de 1 200 actes antijuifs ont été recensés dans le pays depuis le début de la guerre déclenchée par les massacres du Hamas en Israël, le 7 octobre. Les premières audiences en justice font apparaître un kaléidoscope de profils.
Warda A., corps menu enveloppé dans un large manteau à chevrons noir et blanc, s’est éclipsée en un éclair, dès qu’elle l’a pu, fuyant les regards et le box des accusés où elle n’a passé qu’une poignée de minutes, ce vendredi 10 novembre devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Cette Française de 37 ans, le visage fermé mangé par de hautes lunettes de vue, a été relâchée et placée sous contrôle judiciaire en attendant son jugement sur le fond, prévu le 22 novembre. Elle est soupçonnée d’avoir fait l’apologie du terrorisme et provoqué à la haine antisémite dans une vidéo publiée sur Instagram, le 2 novembre.
Ce faisant, cette mère de deux enfants est devenue l’un des visages derrière la statistique des 1 247 actes antisémites officiellement signalés à ce jour en France, depuis le début de la guerre déclenchée par l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre, qui a fait 1 200 morts, en majorité des civils.
Le 2 novembre, la youtubeuse qui se trouvait pour quelques jours à Deauville s’est filmée en mode de selfie et a ironisé sur la mort d’un bébé israélien qui aurait été mis dans un four par les soldats du groupe terroriste. « Moi, je trouve que c’est un menu plutôt pas mal », a-t-elle blagué, longuement, avant d’enfoncer son discours d’un : « Je ne suis pas là pour propager de la haine ou trouver cela légitime ou quoi, mais ça l’est un peu quand même. » La vidéo, publiée sur un profil privé suivi par quelque 7 800 personnes, a aussitôt généré une volée de signalements, de plaintes, « et de menaces de mort à son encontre, et à la mienne », confie son avocat, Me Ilyacine Maallaoui.
Dans le box, la prévenue, visiblement mal à l’aise, n’a quasiment pas fait entendre le son de sa voix, confirmant simplement quelques détails de son état civil : cette ancienne hôtesse d’accueil et secrétaire de direction, née à Djibouti, un temps femme au foyer, a lancé une marque de mode qui ne lui rapporte pas encore de revenus. L’influenceuse style, sans casier judiciaire, vit en attendant des aides de la CAF et élève seule ses deux enfants de 3 et 12 ans elle est séparée du père.
Une trentaine de condamnations déjà prononcées
Selon le ministère de la Justice, plus de 300 enquêtes ont été ouvertes pour actes antisémites et apologie du terrorisme depuis un mois, et plus de 300 judiciarisations de signalements Pharos (la plate-forme qui permet de signaler des contenus illicites en ligne) ont été recensées.
Selon nos informations, une trentaine de condamnations ont déjà été prononcées, le plus souvent avec de la prison ferme. Mais la plupart des enquêtes sont en cours, et beaucoup des auteurs encore non identifiés.
Ceux qui ont déjà été présentés devant les tribunaux ne dessinent pas un portrait unique de la haine antisémite. Plutôt un kaléidoscope, incluant « des jeunes gamins qui disent des choses très graves » ou des « personnes plus ancrées dans la défense de la cause propalestinienne et qui dérapent », décrivait le 5 novembre le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez.
« Un antisémitisme d’opportunité »
« Il n’y a pas de profil type, on voit des mineurs comme des majeurs, avec ou sans mentions à leurs casiers judiciaires. Il y a un sentiment d’impunité qui se développe avec ces discours, et c’est grave, car on sait que les discours finissent toujours par des passages à l’acte violent, pas forcément par la même personne », abonde Me Oudy Bloch, l’avocat de l’Organisation juive européenne qui s’est portée partie civile dans l’affaire de Warda A. et voit depuis un mois se manifester « un antisémitisme d’opportunité ».
« Nous sommes en pleine répercussion du conflit qui se déroule à 3 500 km de la France », relève l’historien Marc Knobel, qui constate, à chaque embrasement du Proche-Orient, une augmentation nette du nombre de faits. En 2000, la seconde Intifada avait occasionné plusieurs attaques au cocktail Molotov contre des synagogues. Deux décennies plus tard, les événements recensés semblent de moindre intensité, mais nettement plus nombreux, et sur tout le territoire.
« Soixante pour cent sont des atteintes aux personnes, principalement des insultes et menaces, et 40 % des atteintes aux biens », estime l’avocat Elie Korchia, le président du Consistoire central israélite de France, qui s’efforce de tenir à jour le recensement des agressions, venant de toute la France.
De « l’antisémitisme islamiste » à la « bêtise extrême »
C’est ce moniteur d’auto-école, établi à Floirac (Gironde), près de Bordeaux, qui a menacé de mort sur les réseaux sociaux l’animateur Cyril Hanouna. C’est cet adolescent de Strasbourg, où vit la deuxième communauté juive de France, qui a exhibé un couteau devant les grilles de la synagogue. Ce mineur, de nationalité syrienne, suspecté d’avoir donné un coup de pied à un rabbin dans un couloir du métro parisien.
C’est l’imam de Beaucaire, Yassin El Himer, condamné à huit mois de prison avec sursis pour avoir publié le 12 octobre sur Facebook des propos issus d’un hadith (parole attribuée à Mahomet et consignée dans la tradition islamique) appelant à « combattre » et « tuer » les juifs. Pour Me Corine Serfati, avocate du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) en région Occitanie, il est le représentant d’un « antisémitisme islamiste ».
À Avignon, Sheryane H., 18 ans, a été condamnée lundi à cinq mois de prison ferme pour avoir craché, le 2 novembre, sur la kippa d’un homme de confession juive qu’elle a aussi insulté. Lors de l’audience, elle a expliqué s’être mise dans une rage folle quand elle a vu une étoile de David sur le couvre-chef. « Mon geste n’est pas contre les juifs mais contre la politique israélienne », s’est défendue lors de l’audience la jeune majeure déscolarisée, condamnée par le passé pour vol ou outrage, notamment sur ses éducateurs de foyer.
Son avocate, Me Charlène Neveu-Sanchez, y voit de « la bêtise extrême ». « C’est l’acte d’une gamine complètement abîmée, sanguine, qui ne comprend absolument rien au conflit au Proche-Orient. Vous lui dites que le Hamas est un plat qui vient de Turquie, elle vous croit ! », dépeint-elle.
François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié (dir.), Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, (Ifop, Fondation pour l’innovation pour l’innovation politique, American Jewish Committee, janvier 2022).
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