« Sauver les garçons » pour sauver la mixité à l’école
François de Laboulaye | 11 mars 2016
« Sauver les garçons » pour sauver la mixité à l’école
Par François De Laboulaye
École : la fracture sexuée, de Jean-Louis Auduc, Éditions Fabert, 2016, 109 pages, 12€
Reprenant la thématique de la fracture sociale et l’appliquant au genre, Jean-Louis Auduc, docteur en histoire, connue pour ses précédents ouvrages sur le décrochage scolaire des garçons, propose dans cet essai « Ecole : la fracture sexuée » (Ed.Fabert, Paris, 2016) de « sauver la mixité » en réhabilitant le déterminisme sexuel fille/garçon.
Le net décrochage des garçons se vérifie très tôt et dans presque toutes les disciplines. Les filles sortent plus diplômées des études, elles choisissent d’avantage les filières générales et technologiques (2012 : 64% des filles pour 53% des garçons). Elles sont plus nombreuses à s’assoir sur les bancs de l’Université (2012 : 48% de femmes pour 38% d’hommes).
Au contraire, les garçons sont orientés vers des Bacs pro (2012 : 23,3% de garçons pour 16,7% des filles), le décrochage est plus important. Dans les filières où les garçons sont d’avantages représentés, les filles obtiennent de meilleures notes.
Sur le long terme cette fracture sexuée devient une fracture sociale. Les garçons privilégiant les filières courtes trouvent du travail dans des domaines fortement touchés par le chômage (comme le BTP). Au contraire, les filles évoluent dans des secteurs plus protégés (magistrature, fonctionnariat…).
A cet écart entre les sexes s’ajoute un écart entre les classes sociales et les origines. Ainsi, l’écart entre les garçons issus de l’immigration et les filles de même origine est beaucoup plus important que l’écart entre les garçons non issus de l’immigration et les filles de même origine (2010 : 74% des filles de toute origine ont leur bac contre 64 % des garçons non-issus de l’immigration et 43% des garçons issus de l’immigration). Ces chiffres se vérifient aussi lorsque les garçons et les filles sont issus de milieux pauvres.
Le refus de prendre en compte l’impact de la différence sexuelle sur l’apprentissage s’explique par plusieurs blocages.
La mixité à l’école s’est imposée dans les années 1960 sans provoquer aucune réaction. Il s’agissait d’un ajustement économique de l’Education National face à la massification de l’accès au service public de l’enseignement causé par le baby-boom. La question sexuelle ne se posait pas. L’élève était considéré comme « un ange asexué » évoluant dans un « espace neutre ». Le corps, à l’école n’avait pas droit de cité. Ce mythe, comme le relève à regret l’auteur, est encore bien vivant.
Un certain féminisme tend à stigmatiser les garçons. Le temps plus important consacré aux garçons s’expliquerait par une misogynie institutionnalisée et non par le souci pédagogique d’aider les élèves les plus en difficulté (majoritairement des garçons). Le concept de dévalorisation des métiers occupés par les femmes, en faisant croire que rien ne change, tendrait à discréditer non seulement le progrès que représente l’accès des femmes à des métiers autrefois réservés aux hommes (comme la magistrature, la médecine et l’architecture) mais aussi tout un ensemble de métiers tournés vers l’humain et la vie sociale en survalorisant, par contraste, des métiers en rapport avec la machine et l’ordinateur conformément à « une vision orwellienne de la société ».
L’uniformisation du système éducatif français empêcherait de réfléchir à une pédagogie spécialement destinée aux garçons. Or, le rapport à la « tâche scolaire » montre que les garçons ont beaucoup plus de mal à finaliser une tâche que les filles, en la vérifiant et en apportant les corrections éventuelles. Dans ce même ordre d’idée, la méthode syllabique est mieux adaptée aux garçons, alors que les filles apprennent tout aussi bien avec la méthode globale. Les neurosciences ont mis en évidence des différences cérébrales entre les filles et les garçons qui expliquent des « trajectoires spécifiques de développement ».
Enfin, la majorité des enseignants sont des femmes ce qui ne favorise pas l’identification des garçons à une figure d’autorité. De plus, ceux-ci ont tendance à se croire défavorisés par leur enseignante quand, à partir de la 6eme, l’écart de maturité entre les sexes s’accroit à leur dépend, favorisant décrochage et agressivité.
L’auteur propose dans une troisième partie de son ouvrage des mesures d’amélioration.
Il faut sortir de la notion de « l’élève asexué » et ce dès la maternelle en permettant le recrutement de professeurs hommes, adapter la pédagogie pour les garçons quand il s’agit d’aider les élèves en difficulté ou d’enseigner la lecture à l’instar des Ecossais ou des Canadiens qui associent des joueurs de foot ou de hockey à des concours de lecture. Dans une société sécularisée où les rites religieux ne signifient plus rien et où le jeunisme encourage le maintien indéfini dans l’adolescence, il n’existe plus de rite de passage officiel. Désormais, les jeunes garçons pallient à cette absence en créant eux-mêmes des nouveaux rites de passage fondés sur la « sanction » et la « bande ». L’auteur propose entre autre, de ritualiser le passage à l’âge adulte à partir de 13 ans, de systématiser les cérémonies de remise des diplômes, de créer des « espaces non mixtes » d’enseignement et de favoriser la parité chez les professeurs.
Pour sauver la mixité, aujourd’hui remise en cause, Jean-Louis Auduc estime donc que le combat pour l’égalité à l’école passe aussi par celui contre l’échec scolaire des garçons. Se préoccuper uniquement du sort des filles et surtout nier le genre conduiraient à une faillite certaine d’un enseignement public qui refuserait « de marcher sur ses deux jambes ». Cet essai rappelle des évidences, certes, mais avec efficacité, il est temps de passer à l’action !
crédit photo Flickr: sebastiam_30
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