Victor Delage : « Les jeunes générations plébiscitent les valeurs de droite »

Florence Chédotal, Victor Delage | 23 mai 2021

Le responsable des études de la Fondation pour l'innovation politique sonde les penchants politiques du Vieux-Continent dans « La conversion des Européens aux valeurs de droite ».

Après avoir lu votre étude, on ne pourra plus dire qu’on est à gauche du temps de sa jeunesse avant de basculer à droite en vieillissant.
Il est vrai que, traditionnellement, les seniors sont réputés être plus à droite que les jeunes. Mais notre étude révèle que les nouvelles générations sont désormais les plus nombreuses à s’autopositionner politiquement à droite.

En moyenne, dans les quatre pays étudiés (France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni), 41 % des 18-24 ans et des 25-34 ans se positionnent à droite sur l’échelle politique. C’est un niveau significativement supérieur à celui des 50-64 ans (36 %) et comparable à celui des plus de 65 ans (40 %).

Seuls 26 % des 18-24 ans et 22 % des 25-34 ans se placent à gauche, contre 31 % chez les 65 ans et plus et 29 % chez les 55-64 ans.

Quelles sont les valeurs de droite plébiscitées chez les jeunes ?
La limitation du rôle de l’État dans l’économie et le renforcement de la liberté des entreprises reçoivent un soutien significatif des jeunes générations. Tout comme la responsabilité individuelle qui suscite une vive adhésion et l’emporte sur l’assistanat : les 18-24 ans sont les plus nombreux à considérer que « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment ».

Une majorité des jeunes pensent aussi qu’« en faisant des efforts, chacun peut réussir » et que « les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions ».

Sur la question identitaire, 46 % des 18-24 ans et 56 % des 25-34 ans estiment qu’« il y a trop d’immigrés dans leur pays » et leur perception de l’islam est plutôt négative.

Comment l’expliquez-vous ?
La prédominance des valeurs individualistes chez les nouvelles générations est corrélée à la défiance qu’ils expriment à l’égard des institutions et du système politique dans son ensemble. L’épuisement du modèle de l’État-providence et la déception liée aux promesses non tenues de la démocratie sociale, sur le triptyque sécurité, justice sociale et progrès, les conduisent à avoir le sentiment de ne pouvoir compter que sur eux-mêmes. À cela s’ajoute une demande de retour à l’ordre, particulièrement plébiscitée par les 18-24 ans. S’il venait à se confirmer, ce basculement à droite des plus jeunes devrait encore renforcer la domination des partis libéraux et conservateurs en Europe dans les prochaines années.

Vous observez cette droitisation au sein même des sympathisants de gauche.
Comme l’a fort justement écrit le linguiste italien Raffaele Simone, la gauche semble avoir « perdu la capacité de donner sa forme au monde ».

Les désordres en cours transforment en profondeur nos préoccupations individuelles, auxquelles la gauche ne sait plus répondre. Son refus de se positionner clairement sur des enjeux majeurs, comme l’insécurité ou les fractures culturelles et identitaires, l’éloigne d’une large partie de son électorat historique.

En France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, les sympathisants des partis de gauche sont plus nombreux à être « pro-fermeture » que « pro-ouverture » ou en faveur du statu quo sur le plan migratoire, – à l’exception de ceux du Parti démocrate italien. Cet abandon par la gauche des préoccupations de son électorat conduit celui-ci à se fragmenter : certains se droitisent, d’autres préfèrent se désengager des affaires de la cité. Soulignons que l’autopositionnement à droite reste en tête quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle des répondants : chez les ouvriers, les employés, les artisans, les commerçants et les cadres.

On pourrait penser que les inégalités fassent pencher la balance à gauche. Or, en Europe, parmi les 27, on ne trouve que six dirigeants sociaux-démocrates.
Ces chiffres sont d’autant plus stupéfiants qu’en 2002, ils étaient 13 à gauche, alors que l’Union européenne ne comptait que 15 États membres. Aujourd’hui, 21 pays sur 27 penchent à droite. Cette inversion peut s’expliquer par les profonds mouvements qui bouleversent nos démocraties, tels que l’enchevêtrement de crises mondiales, le déploiement de la globalisation, le vieillissement démographique, la hausse de l’immigration, l’accroissement du sentiment d’insécurité suscité par les phénomènes de délinquance et le terrorisme islamiste, ou encore la répétition d’erreurs stratégiques de certains partis de gouvernement.

Si la droite a gagné la bataille des valeurs, elle ne semble pas pour autant capitaliser si on pense à LR ?
Selon nos données, 38 % de l’ensemble des Français s’autopositionnent à droite, 24 % à gauche et 17 % au centre. Les Français n’ont peut-être jamais été autant à droite. Pourtant, Les Républicains apparaissent divisés, sans véritable stratégie de conquête du pouvoir ni candidat faisant consensus.

Alors que son électorat tend à se diluer entre LREM et RN depuis 2017, une non-participation pour la troisième fois consécutive d’un candidat LR au second tour de la présidentielle pourrait acter la disparition du parti dans le paysage politique français.

Cette étude montre également que la décroissance n’est pas une idée largement partagée, y compris chez les sympathisants écologistes.
Cela témoigne du décalage entre les discours politiques, médiatiques, et la pénétration de ces idées au sein de l’opinion.

Dans les quatre démocraties de l’enquête, trois quarts des personnes interrogées estiment qu’« on peut continuer à développer notre économie tout en préservant l’environnement pour les générations futures ».

Les électeurs écologistes – 67 % des sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts en France et 80 % des Verts allemands – abondent largement en ce sens. C’est ce qu’ont compris certains dirigeants de partis écologistes en Europe. Aspirant de plus en plus à exercer des responsabilités, ils n’hésitent plus à former des alliances avec les libéraux et les conservateurs, comme le montrent les cas autrichien, belge, irlandais et luxembourgeois.

Sait-on, au final, si cette droitisation va profiter à une droite de gouvernement ou à l’extrême droite ?
C’est la grande interrogation à l’horizon 2022. On peut imaginer que si un candidat LR arrive à faire consensus, la donne pourrait changer. S’il fait peu de doutes que le combat électoral se passera à droite, il est néanmoins frappant de voir à quel point la gauche semble progressivement disparaître dans le débat public.

La grille de lecture gauche/droite est-elle encore pertinente ?
Si une majorité de Français s’identifient encore à une culture de gauche ou à une culture de droite, plusieurs éléments fragilisent ce clivage historique. Le déclin des deux grands partis traditionnels et l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, présenté comme un candidat « ni de droite ni de gauche », ont contribué à brouiller les cartes. En atteste la proportion des personnes déclarant ne pas savoir où se positionner sur l’échelle politique gauche-droite, qui est passé de 16 % fin 2016 à 21 % en 2021. C’est bien plus qu’en Allemagne (9 %), en Italie (12 %) et au Royaume-Uni (16 %). La droitisation de la société, et plus précisément la conversion d’une partie de l’électorat de gauche aux valeurs de droite, participe également à cette altération du clivage gauche-droite.

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