À six mois de la présidentielle, la société française plus à droite que jamais

Loris Boichot | 26 octobre 2021

Une enquête de la Fondation pour l'innovation politique montre des tendances longues de l'évolution de l'électorat, dans un paysage politique morcelé.

La société française s’ancre à droite, à six mois du premier tour de l’élection présidentielle. Tel est le principal enseignement du dernier indicateur de « protestation électorale » établi par la Fondation pour l’innovation politique et administré par l’institut Opinionway, en partenariat avec Le Figaro .

Alors que le paysage politique se révèle plus incertain et morcelé que jamais, cette enquête réalisée du 14 au 20 septembre, fondée sur un large panel de près de 3 200 personnes, révèle une nette évolution de l’électorat. Aujourd’hui, 37 % des électeurs se situent à droite de l’échiquier politique, en se plaçant sur les cases 6 à 10 de l’axe gauche-droite, contre 33 % en 2017, soit une progression de 4 points.

D’un autre côté, de moins en moins de Français se placent à gauche ou au centre. La gauche représente 20 % des électeurs, contre 25 % il y a quatre ans, et le centre 18 %, contre 20 % en 2017. Fait notable, près d’un Français sur quatre (23 %) répond ne pas vouloir se situer sur l’échelle gauche-droite. « La France est de droite comme elle ne l’a probablement pas été depuis longtemps » , résume Dominique Reynié, directeur général de Fondation pour l’innovation politique. Le phénomène n’est pas isolé : il concerne aussi l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni.

Niveau de bloc de gauche historiquement bas

Résultat, les candidats de droite au sens large forment un bloc en position de force électorale. Une majorité de Français (56 %) pourraient voter pour les candidats de ce camp testés par la Fondation pour l’innovation politique – le candidat à l’investiture des Républicains (LR), Xavier Bertrand, la nationaliste Marine Le Pen, le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan ou l’essayiste identitaire Éric Zemmour.

Un haut potentiel électoral qui rendrait la gauche presque envieuse. Seulement 34 % des électeurs affirment pouvoir voter pour au moins l’un des candidats de gauche déclarés – la socialiste Anne Hidalgo, l’écologiste Yannick Jadot ou l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon. Bénéficiaire d’un positionnement central sur l’échiquier politique, Emmanuel Macron est pour sa part crédité de 33 % d’électeurs potentiels.

Le niveau du bloc de gauche est historiquement bas, malgré la percée des Verts aux élections européennes de 2019 et la résistance des socialistes aux dernières élections locales. « La gauche s’est clairement privée d’un ressort essentiel, en refusant de prendre en charge des thématiques dont la prise en compte est jugée non négociable par une très large partie des Français » , explique Dominique Reynié.

Ces priorités s’appellent insécurité et immigration. Perçues comme des marqueurs de droite, la lutte contre la délinquance (citée par 51 % des électeurs, + 5 points par rapport à avril) et la réduction des flux migratoires (42 %, + 5 points) deviennent la première et la troisième préoccupation des Français, après une année marquée par la persistance des débats autour de l’ « ensauvagement » de la société.

Quant aux questions sociales, elles sont en recul depuis avril. Ainsi de la réduction des inégalités (43 %, – 2 points) et de la lutte contre le chômage (41 %, – 10 points). Sujet historiquement central pour la droite libérale, le souci de réduire la dette et le déficit de l’État connaît aussi un important reflux (27 %, – 11 points en deux ans), sur fond de « quoi qu’il en coûte » .

Parce qu’elle a délaissé les sujets régaliens, selon Dominique Reynié, la gauche a perdu la bataille des classes populaires. « Une défaite sociologique » , observe le professeur des universités. Aujourd’hui, une large majorité (60 %) des Français qui affirment avoir des difficultés à la fin du mois sont prêts à voter pour l’un des candidats de droite; seuls 41 % d’entre eux peuvent voter pour un représentant de la gauche. Le constat n’est pas nouveau : dès 2011, il avait conduit le laboratoire d’idées Terra Nova à proposer à la gauche une stratégie de conquête des classes moyennes supérieures pour accéder au pouvoir.

Reste à savoir à qui profitera cette droitisation de la société. Aucun chef naturel des Français de droite ne s’impose. En cinq ans, Emmanuel Macron a multiplié les clins d’oeil à leur endroit, à grand renfort de réformes économiques libérales et de harangues contre le « séparatisme » . Marine Le Pen, aujourd’hui concurrencée par Éric Zemmour sur ce terrain, a martelé ses messages anti-immigration.

Quant aux membres de LR, le parti historique de la droite, ils tardent à se choisir un représentant pour le scrutin élyséen – ils doivent trancher le 4 décembre au plus tard. Dans un pays lassé par dix-sept mois d’épidémie, le jeu est ouvert, selon Dominique Reynié : « Toute la question est de savoir si ce réalignement à droite profitera à une droite de réforme ou à une droite de rupture. »

Les réseaux sociaux, foyers d’un vote protestataire

L’enquête Fondapol- Le Figaro confirme le scepticisme des Français à l’égard des médias traditionnels. Près de trois quarts d’entre eux (72 %) ne leur font pas confiance. Dans ce contexte, l’avènement d’un espace numérique autour des réseaux sociaux favorise le comportement « protestataire », selon l’étude. En radicalisant les points de vue par des effets « bulle de filtre », Facebook et Twitter confortent les internautes dans leurs opinions. D’où les récurrents procès en « hystérisation » du débat public.

Selon l’enquête, les utilisateurs quotidiens de Facebook sont plus tentés (78 %) que la population en moyenne (72 %) de s’abstenir, de voter blanc ou de voter antisystème – Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan ou la gauche révolutionnaire. Les habitués de Twitter (78 %), d’Instagram (80 %), de Twitch (89 %), de TikTok (90 %) et de Telegram (90 %) battent aussi des records. Seuls les familiers de WhatsApp (68 %) expriment une tentation protestataire moindre.

Deux autres traits distinctifs caractérisent les utilisateurs des réseaux sociaux. D’abord, ils sont plus nombreux que les Français en moyenne (14 %) à utiliser les « nouveaux médias » (YouTube, blogs, forums, etc.) comme première source d’information (de 15 % pour les familiers de WhatsApp à 50 % pour ceux de Telegram). Ensuite, sur fond de forte préoccupation pour les questions de sécurité, le souhait de posséder une arme chez soi, minoritaire dans la population (21 %), est surreprésenté chez eux (de 22 % pour les habitués de Facebook à 57 % pour ceux de Telegram). « La représentation d’une conflictualité montante et déréglée est alimentée par les réseaux sociaux, qui mettent en scène de façon quasi quotidienne des faits de violence, dont les jeunes sont les principaux utilisateurs » , explique le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, Dominique Reynié.

Lire l’article sur lefigaro.fr.

Dominique Reynié (dir.), 2022, le risque populiste en France (vague 5), (Fondation pour l’innovation politique, octobre 2021).

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