2020, l’année du désarroi pour la « génération Covid »

Agnès Leclair, Stéphane Kovacs | 19 novembre 2020

Épidémie, chômage, terrorisme, climat… De nombreux jeunes éprouvent un «sentiment de désolation», voire d’«abandon». Leur créativité et leur engagement les aident à tenir bon.

Ils ont 20 ans, l’âge de tous les possibles, et vivent une période d’interdits qui contrarie tous leurs élans. Être assigné à résidence à l’âge des fêtes jusqu’au bout de la nuit, suivre des cours en ligne, faire un stage « en Visio », rester calfeutré chez ses parents plutôt que de partir à l’assaut du monde, faire de nouvelles rencontres à visage masqué, respecter des gestes barrières alors qu’on se sent invincible… Déjà hantée par un sentiment d’incertitude sur l’avenir du monde, la jeunesse de 2020 voit ses rêves bridés par la crise sanitaire et la crise économique qui enfle. «C’est dur d’avoir 20 ans en 2020», avait reconnu Emmanuel Macron le 14 octobre. Avant même le Covid, certains avaient déjà l’impression de vivre la fin d’une époque, rapportent les sociologues Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen dans leur essai sur les vingtenaires. Un sentiment qui n’a fait que croître ces derniers mois. «Le Covid, c’est comme l’aboutissement d’une période d’angoisse déjà marquée par l’état dégradé de la planète, un climat social troublé, un sentiment d’instabilité du monde», confie Raphaëlle, 19 ans,étudiante en philosophie à Paris I. Nés avec internet mais aussi à l’aube du il septembre 2001, les jeunes de cette génération considèrent comme «prioritaires, de très loin», « toutes les questions autour du dérèglement climatique», et la plupart ressentent le «terrorisme comme un marqueur de leur génération». « Omniprésent », relèvent encore les deux sociologues, est chez eux le sujet du genre et des « nouvelles identités sexuelles». Question politique, leur disponibilité au vote protestataire augmente : 35 % des 18 -24 ans pourraient voter pour un(e) candidate) LFI et 33 % pour le RN lors de la prochaine présidentielle, note une récente étude de la Fondation pour l’innovation politique. La tranche d’âge 20-24 ans représente 5,6% de la population française. C’est chez eux qu’en un an, le taux de chômage a progressé le plus (+2,6 points) : 21,8% des15-24 ans étaient sans emploi au troisième trimestre 2020. Lors de cette rentrée, 750 000 jeunes se sont retrouvés sur le marché du travail… sans grandes perspectives. «Les jeunes sont peu touchés sur le plan sanitaire mais frappés de plein fouet sur le plan économique et social, note le sociologue Olivier Galland. La crise risque aussi d’avoir des effets particulièrement délétères sur les décrocheurs, ceux qui rencontrent le plus de difficultés scolaires, alors que la probabilité d’obtenir un bon emploi est de plus en plus liée au niveau d’étude. » Pour l’instant, l’horizon d’Alexandre, 23 ans, se limite à une chambre de 9 m2 dans un foyer de jeunes travailleurs à Versailles. Des journées passées entre son lit, sa table et son ordinateur avec l’impression que «les murs se rapprochent». Un budget très serré, des relations sociales au point mort et un «sentiment de désolation», voire «d’abandon». Le bac en poche, Alexandre avait eu du mal à trouver sa voie. Après une période de «bricolage», il avait finalement reprisses études. Un BTS SIO (services informatiques aux organisations) en alternance. Loin de sa famille installée en Loire-Atlantique, desservi par des problèmes d’ordinateur, Alexandre a vécu une année sombre. Avant l’été, le lycée a mis fin à sa formation. Il touche encore des indemnités d’environ 1000 euros par mois. «Mes parents ne peuvent pas m’aider financièrement», indique-t-il. En attendant une autre formation ou un boulot alimentaire, il bénéficie d’un coaching des Apprentis d’Auteuil. « La partie administrative de la recherche d’emploi, les entretiens, c’est obscur pour moi», décrit-il. Ce que voudrait Alexandre, c’est un travail où il a la perspective «de pouvoir grimper les échelonts ». « On n ’est pas formé pour arriver sur le monde de l’emploi, regrette-t-il. C’est déconcertant». Considère-t-il que sa vie est plus dure que celle de ses parents ? «Il y a une plaisanterie là-dessus je crois : les personnes des années 1980 qui disent qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un travail», ironise-t-il. Quelque 78% des jeunes jugent aujourd’hui difficile l’entrée sur le marché du travail, la possibilité de trouver un logement (72%), un stage ou une formation (64%), selon le baromètre sur l’éducation Opinion Way réalisé pour les Apprentis d’Auteuil à la rentrée. «Les clés de l’autonomie leur échappent et ils ont du mal à se projeter », résume André Altmeyer, directeur général adjoint de la Fondation qui accompagne 30 000 jeunes. Pour beaucoup, la plus grande difficulté est de ne pas avoir de soutien et leur plus grande crainte, c’est l’isolement». Pour éviter la montée de la précarité dans cette génération, plusieurs associations ont plaidé auprès du gouvernement pour l’ouverture du RSA aux moins de25 ans. Opposé à cette idée, le gouvernement décline à la place son plan «un jeune, une solution». Traditionnellement, ce sont les aînés qui se sacrifiaient pour leurs enfants et non l’inverse, ont alerté au cours de ces derniers mois des philosophes comme Robert Redeker ou André Comte-Sponville, inquiets d’une «inversion des devoirs entre les générations». La jeunesse de 2020, une «génération sacrifiée», comme le pensent, selon notre sondage Odoxa, 75% des Français ? « Ceux de 14 » avaient tout de même affronté des périls d’une autre ampleur… «Nous ne sommes pas en guerre, contrairement à ce qu ’a dit le président de la République, relativise Éric Anceau, professeur d’histoire à la Sorbonne université. Mais par rapport à il y a dix ans, on a une proportion bien plus importante d’étudiants salariés, pour lesquels les choses deviennent dramatiques. Je reçois entre 40 et 50 courriels par jour d’étudiants en détresse psychologique ou financière. Quelque 10% ne sont pas équipés d’un ordinateur, donc doivent regarder les cours sur leur téléphone. L’autre jour, lors d’une conversation zoom, l’un de mes élèves bégayait : “Excusez-moi, j’ai pas les idées claires, je suis très mal psychologiquement, je ne supporte pas le confinement. ” » Avec la fermeture des bibliothèques et des archives s’ajoute une problématique : «Les étudiants en master n ’ont pas pu aller au bout de leurs recherches pendant le premier confinement, poursuit le professeur. Sur mes quatre étudiants boursiers, qui doivent redoubler, certains n’ont pas encore pu obtenir le renouvellement de leur bourse. »À Nanterre, un groupe de mères de famille a repéré «200 à 250 étudiants en difficulté financière », ayant perdu petits jobs et autres baby-sittings. «Parmi eux, 60 à 70 sont en très grande précarité, endettés, et ne peuvent faire trois repas par jour, témoigne une bénévole qui collecte nourriture et produits d’hygiène. Pas question pour eux de sacrifier leur abonnement internet, du coup, ils n’arrivent même plus à payer les 1 euro du restau U. » Durant le premier confinement, deux étudiants s’étaient donné la mort sur leur campus. Une période, alerte le sociologue Michel Debout, qui augmente les risques suicidaires chez plusieurs catégories de la population, et notamment les jeunes : parmi les 20% des Français qui ont envisagé de se suicider recensés dans son enquête pour la Fondation Jean Jaurès, un quart a moins de 24 ans. «On peut expliquer cette réalité par la difficulté de se faire soigner ou de poursuivre les soins pendant la période de confinement et dans les semaines qui ont suivi», analyse Michel Debout, membre de l’Observatoire national du suicide. 2020, c’était l’année où Margot,diplômée d’une école de maquillage artistique, devait s’émanciper. Après des ennuis de santé importants, cette étudiante de 22 ans avait tout de même réussi à tracer un début de route professionnelle sur plusieurs courts et même quelques longs-métrages. De quoi quitter son petit village de 300 âmes du Var pour s’installer à Paris. «Et là, bing ! Le Covid, le confinement, plus rien… » Du sur-place, à la case départ, chez ses parents. «Je touche encore quelques indemnités mais je voudrais avant tout acquérir ma liberté, mon indépendance. Cette attente crée beaucoup de frustration», décrit-elle. Plutôt que de s’apitoyer sur son sort, elle a décidé de mettre son trop-plein d’énergie au service d’une bonne cause. Bénévole chez les Petits frères des pauvres depuis le confinement, elle incarne cet élan de solidarité intergénérationnelle qui s’est manifesté ces derniers mois. Entre les deux périodes de confinements, Margot a également lancé un compte Instagram sur le féminisme et maintient ses relations amicales «parce qu’on ne peut pas rester les bras croisés à attendre que le virus passe, plaide-t-elle. Être persuadé que rien ne peut vous freiner, que rien ne peut vous tuer, c’est le propre de la jeunesse. On ne peut pas nous demander de mettre ce sentiment en veilleuse ». Directeur général de l’ESCE (École supérieure du commerce extérieur), Christophe Boisseau observe chez ces jeunes «une très grande maturité et beaucoup de souplesse» : «Ils sont beaucoup dans l’essai-erreur, mais prennent leur avenir en main au lieu de se laisser conduire, décrit-il. Ils savent qu’ils auront beaucoup à changer de métier tout au long de leur carrière. » Le semestre à Singapour annulé, les offres de stages en chute libre ? «On a mis en place tout une série de mesures, de la réunion hebdomadaire sur Instagram à la cellule de veille psychologique spécial Covid, rassure-1-il, pour garder le lien et aider nos étudiants dans la recherche du premier emploi. » Il y en une pour qui 2020, c’est la consécration. Du haut de ses 22 ans, Léna Situations, suivie par des millions de jeunes sur YouTube, Instagram ou TikTok, est « au max de (s)a life». Incarnation de la créativité et de l’adaptabilité de ses contemporains, elle est devenue une icône de la génération Z.  L’«influenceuse de l’année» réalise «son plus grand rêve de 2020», «publier un livre», bouleversant au passage le milieu de l’édition. Numéro un des ventes en France, avec près de 200 000 exemplaires écoulés depuis sa sortie fin septembre, Toujours plus continue de cartonner. Léna Mahfouf -de son vrai nom – l’a conçu comme un « guide de développement personnel spécial jeunes pour dire non à la morosité et à la spirale du négatif. » Son fameux « + = +», c’est «une formule que j’écrivais sur mes brouillons de bac, explique-t-elle, qui signifie“vas-y à fond”, car le positif attire le positif». Cascade de boucles brunes et jolie frimousse parsemée de taches de rousseur, la pétillante Léna a surmonté bien des complexes et des crises d’angoisse. Timide, issue d’un milieu modeste, elle a été victime de harcèlement au collège. Il y a quatre ans, elle commence à partager, sous forme de vlogs, ponctués de «wesh ! » et d’autres de ses interjections «iconiques», toutes ses «situations » de vie, sans fard ni filtre. Pour payer son école de mode, puis son stage de six mois à New York, elle cumule les petits boulots, «très tôt le matin avant les cours, ou bien le soir», samedis et dimanches compris. Aujourd’hui, secondée par une assistante, elle gère ses partenariats avec de grandes marques et un emploi du temps de ministre. Et continue d’appliquer sa formule magique : «Car oui, je crois, le meilleur reste à venir, pour chacun d’entre nous, clame-t-elle à ses jeunes fans. L’optimisme, cela vient aussi avec la maturité.

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