Europe : Édouard Balladur se dresse contre la ligne Macron-Scholz

Emmanuel Berretta | 29 juin 2023

À 94 ans, l’ancien Premier ministre s’invite dans le débat sur l’avenir de l’Europe en livrant un testament qui rejette sur bien des sujets les propositions du duo franco-allemand.

À 94 ans, Édouard Balladur a encore les idées claires. C’est en tout cas la première déduction que l’on peut faire du testament politique européen qu’il a rédigé pour le compte de la Fondapol. Sous sa plume précise, 2 900 mots tombent comme des flèches dans une logique implacable de remise en ordre de l’Union européenne beaucoup trop confuse à son goût.

Que la France soit mal en point est une chose, mais peut-elle compter sur l’Europe pour son redressement ? « Rien n’est moins sûr, répond l’ancien Premier ministre. Elle semble elle-même vulnérable et désarmée, dépendante du reste du monde, menacée d’implosion. Dans son organisation actuelle a-t-elle bâti des réponses crédibles à nos besoins dans tous les domaines où ce serait nécessaire ? La réponse est non. En tout cas, les solutions qui consisteraient à accroître encore les pouvoirs des différents organes de l’Union au détriment des États-nations, dont la dépendance envers ceux-ci serait encore renforcée, doivent être exclues. »

Pas d’élargissement possible sans réorganisation

Le texte n’est pas qu’un réquisitoire, il est aussi un programme, un contre-programme au discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron  ou à ceux du chancelier Scholz à l’université Charles de Prague. De ce point de vue, Édouard Balladur se situe dans un prolongement poli de l’euroscepticisme britannique sans en épouser les excès.

Avec cependant une grande différence vis-à-vis du Royaume-Uni : pour lui, l’Europe demeure un horizon indépassable pour la France, mais à condition que celle-ci ne renverse pas les derniers piliers de sa souveraineté au profit d’une Europe élargie, faible et sans clarté. À ses yeux, il n’y a pas d’élargissement possible sans une réorganisation profonde, par cercles de compétences. Emmanuel Macron, dans son récent discours de Bratislava , a repris cette vieille rengaine en évoquant des « formats » différenciés. À chaque époque ses mots.

Les propositions de l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac sont surtout institutionnelles. On peut les résumer en quelques points forts : la force doit rester aux grands États dont le nombre de commissaires doit être supérieur aux petits (ce qui était le cas jadis) ; les compétences entre les États et l’échelon européen doivent être clairement délimitées par un « code européen très précis » et une instance arbitrale intergouvernementale devrait pouvoir annuler les excès de pouvoir des instances européennes.

C’est dire la méfiance que lui inspire la CJUE, forcément favorable à un accroissement des compétences de l’UE au détriment des États membres. Selon Édouard Balladur, les juridictions européennes ne cessent d’enfermer les décisions politiques « dans un carcan dont elles définissent seules le domaine et la portée, allant parfois jusqu’à refuser d’appliquer la loi ».

Les États forts doivent peser plus lourd

Selon lui, le rôle de la Commission doit être cantonné. « L’un des pires défauts de l’Union européenne, c’est le caractère étouffant de la bureaucratie aux mains d’une technostructure qui impose ses choix au mépris d’un fonctionnement démocratique, en facilitant l’interventionnisme autoritaire de la Commission, » insiste-t-il.

Les juges européens ne peuvent, selon lui, empiéter sur les constitutions nationales ; la souveraineté doit rester purement nationale quand il est question de défense et de politique extérieure même si une certaine harmonisation est la bienvenue. En tout cas, la France et l’Allemagne ne peuvent accepter un élargissement qui serait synonyme d’une marginalisation. Malheur aux petits États ! Le déséquilibre actuel l’exaspère.

« Les 3 pays Baltes comptent 6 millions d’habitants et disposent de 3 commissaires, alors que les 3 pays européens les plus peuplés, l’Allemagne, la France et l’Italie, représentant plus de 210 millions d’habitants, ont également en tout 3 commissaires. Si l’Albanie, la Bosnie et le Kosovo, qui représentent ensemble 8 millions d’habitants, adhéraient à l’Union, ils auraient à leur tour 3 commissaires, si bien que, joints aux pays Baltes, un groupe de 6 pays représentant une quinzaine de millions d’habitants disposerait de 6 commissaires, tandis que les pays les plus peuplés de l’Union, avec 210 millions d’habitants, disposeraient de 3 commissaires ! »

L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir

Il rejette le concept de souveraineté européenne forgée par Emmanuel Macron. « Le projet de souveraineté européenne et d’autonomie stratégique n’est pas compatible avec une politique indépendante de la France en matière diplomatique et militaire, tranche-t-il. Soyons réalistes : l’Union européenne est composée de 27 peuples qui parlent 24 langues. Chacun veut préserver son identité, ce qui n’exclut pas d’exercer certaines compétences en commun. L’Union n’est pas une organisation fédérale et ne doit pas le devenir. »

La France doit garder son indépendance militaire et diplomatique

Édouard Balladur prend encore une fois le contre-pied des positions d’Olaf Scholz et d’Emmanuel Macron sur l’abandon de l’unanimité au profit de la majorité qualifiée. « On présente parfois le passage de la décision à l’unanimité à la décision à la majorité qualifiée comme un progrès, pose-t-il. Cela doit être exclu tant que la répartition des postes restera aussi inégalitaire au détriment des nations les plus importantes. En tout cas, la France doit, dans les domaines diplomatique et militaire, conserver son indépendance s’agissant de son rôle au Conseil de sécurité, de l’exercice de la dissuasion nucléaire dont elle dispose. En outre, elle ne saurait être soumise aux directives européennes pour des problèmes de société tels que la bioéthique, la filiation, la fin de vie. »

Édouard Balladur espère que les clarifications rendront à l’UE son efficacité, car les tâches qu’il lui assigne demeurent primordiales : la lutte contre l’immigration irrégulière aux frontières communes, les relations économiques avec ses voisins proches à l’est et au sud, favoriser la stabilité politique et lutter contre l’extrémisme. « Il n’y a pas d’alternative. Si la France veut survivre, l’Europe doit être réorganisée et la France doit demeurer responsable de son propre destin, conclut-il. Ce sera long, difficile, il faut commencer sans tarder. »

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