Les élections communales à Vienne : la poussée électorale du FPÖ

Version PDF

La consultation électorale à Vienne a été l’occasion de mesurer les effets sur l’opinion de la mise en place de la coalition tripartite (ÖVP/SPÖ/NEOS) le 3 mars 2025. Cette coalition, menée par Christian Stocker, nouveau chef de l’ÖVP, et Andreas Babler, vice-chancelier du SPÖ, vise à assurer une majorité stable à la Chambre. Si l’ÖVP et le SPÖ ont chacun six ministères, leurs alliés libéraux, les NEOS, en détiennent seulement deux¹.

Ce mariage de raison des partis démocratiques, qualifié de « coalition de la dernière chance », et visant à éviter l’arrivée au pouvoir du FPÖ, est bien considéré par une majorité d’électeurs, mais suscite de nombreuses interrogations². La compatibilité du SPÖ (ligne Babler marxisante et très marquée à gauche) avec les libéraux de NEOS est vue comme une source potentielle d’instabilité. L’ÖVP, qui s’était doté d’un nouveau chef, a la responsabilité des longues négociations avec le FPÖ. Ces dernières témoignaient d’un fort glissement à droite des conservateurs – en particulier sur l’immigration, la sécurité, l’écologie – une « mutation » qui faisaient grincer des dents l’aile gauche du SPÖ. Par ailleurs, la guerre en Ukraine, l’arrivée de Donald Trump et la mise en place de sa politique économique et géopolitique imprévisible, ramenaient au cœur des interrogations collectives la question de la neutralité de l’Autriche, de ses relations avec la Russie et de son rôle dans l’Union européenne. Toutefois, ces thèmes ont peu pesé dans les choix électoraux viennois.

Toutefois, la situation politique à Vienne est très différente. La ville est historiquement un bastion social-démocrate, ce qui a été confirmé par les élections du 28 avril 2025.

L’analyse des résultats montre que le SPÖ ne baisse que marginalement (-2,2 points de pourcentage). Les NEOS, qui étaient dans la coalition gouvernementale avec le SPÖ, progressent légèrement (+2,5 pts). Les Verts restent stables (-0,3 pts). Le FPÖ progresse fortement (+13,64 pts), tandis que l’ÖVP s’effondre (-10,72 pts). Le KPÖ est en hausse notable (4 %, +2,0 pts), signalant un nouveau retour du communisme en Autriche³. La Liste Strache (LS), ancien vice-chancelier et ex-président du FPÖ, est laminée (1,1 ; -2,2 pts). La participation électorale est en baisse, avec un passage de 65,28 % en 2020 à 59,77 %.

Les chiffres provisoires montrent que le SPÖ a gagné 43 sièges, soit une perte de 3 sièges, et que le FPÖ passe de 8 élus à 22. L’ÖVP recule de 12 sièges, tandis que les NEOS gagnent 2 élus. Le conseil municipal de Vienne compte 100 mandats. Pour obtenir une majorité parlementaire, il faut donc 51 sièges. La cartographie de l’élection montre la domination du SPÖ ainsi que les bureaux de votes où le FPÖ a terminé en tête. La cartographie des élections précédentes de 2020 et 2024 montre l’ancrage territorial et la solidité de ces bastions FPÖ (Simmering, Floridsdorf, Favoriten)⁴.

La polarisation se retrouve dans tous les niveaux des différents électorats (ce qui est révélé par l’analyse sociologique).

Comme à l’occasion des élections nationales et européennes qui ont eu lieu en 2024, les électeurs FPÖ maintiennent le vote sanction contre le gouvernement en place. Les électeurs FPÖ ont aussi été plus sensibles (14 %) au contact direct avec les candidats pendant la campagne (10 % chez les autres électeurs).

Les thèmes « Asile et immigration », « Vie chère et inflation », « Education », « Santé » et « Criminalité et sécurité » dominent dans l’ensemble des partis, les Verts se préoccupant davantage de l’écologie. Plus encore, l’immigration, la vie chère et la criminalité, surtout au FPÖ, mobilisent fortement les électeurs. Il est frappant de constater qu’en dépit du marasme économique en Autriche⁵, les problématiques économiques, comme par exemple la peur du chômage, ne sont que très peu abordées.

L’analyse de la sociologie des électeurs des différents partis montre que le FPÖ a presque réussi à combler le gender gap parmi ses électeurs (22 % d’hommes et 19 % de femmes). Le FPÖ obtient traditionnellement ses meilleurs résultats chez les populations à faible niveau de scolarisation (école obligatoire 29 % et apprentissage 35 %), tandis que les Verts et les NEOS sont plus populaires chez les personnes ayant obtenu le baccalauréat ou un diplôme universitaire. Enfin, les hommes (32 %) et les femmes (27 %) sans le bac sont des électeurs privilégiant le FPÖ, à l’inverse de ceux ayant obtenu un diplôme universitaire. Le FPÖ recueille 42 % des voix chez les sondés trouvant que la ville s’est dégradée. L’insatisfaction de ces électeurs est alimentée par le discours anti-immigration du FPÖ et l’affirmation par le parti de la naissance d’ « enclaves culturelles » dans certains quartiers⁶.

Le SPÖ obtient la majorité absolue parmi les électeurs issus de l’immigration de deuxième génération (c’est-à-dire nés en Autriche de parents nés à l’étranger). Le FPÖ, quant à lui, réalise un score presque équivalent auprès des Autrichiens issus de l’immigration de première génération (c’est-à-dire les immigrés ayant réussi à obtenir la nationalité autrichienne) et chez les Autrichiens sans passé migratoire. Ce résultat est le fruit d’une stratégie d’implantation du FPÖ dans les communautés issues de l’immigration, en particulier turque – cette dernière étant en effet culturellement conservatrice, nationaliste, et opposée à l’arrivée de nouveaux migrants. Dès lors, afin de mener à bien sa stratégie, le FPÖ s’appuie sur des personnalités très influentes dans la communauté d’immigrés turcs⁷.

En conclusion, cette élection est certes un succès pour le FPÖ, mais ce parti n’a pas réussi à « prendre le bastion » SPD viennois⁸. On peut penser que les NEOS entreront de nouveau en coalition avec le SPD, mais ce parti pourrait être tenté par une alliance différente. L’échec de l’ÖVP n’aura, à court terme, pas de conséquence pour l’union tripartite actuellement au pouvoir. Néanmoins, si le FPÖ continue de monter dans les sondages nationaux pour s’approcher des 40 %, il deviendra un obstacle politique difficile à contourner dans les Bundesländer.