Chaos idéologique

Gaël Brustier | 24 novembre 2020

L’actuelle crise sanitaire mondiale aura des conséquences potentiellement explosives dans nombre de sociétés, dont la nôtre. Le Covid-19 se révèle d’ailleurs comme le deus ex machina d’un implacable processus de bouleversement des représentations collectives. À partir du krach de 2008, l’onde de choc des crises financières n’a cessé de se propager, fragilisant d’abord l’économie productive, provoquant inévitablement des troubles sociaux puis contaminant bien des régimes politiques. Les grandes identités politiques traditionnelles ont été mises à mal, entraînant parfois l’effondrement de vieux et grands partis de gouvernements d’Europe. 2008 a enterré les promesses des années 1980.

Dans ce contexte, un nombre croissant de citoyens sont plongés dans une sorte de brouillard, sinon de jour blanc idéologique. Les grands récits expliquant le monde au cours du siècle passé se sont volatilisés, laissant le champ libre à la propagation de thèses conspirationnistes ou farfelues qui affaiblissent l’esprit critique éclairé par la raison, et ce au profit de l’autoproduction par l’internaute d’une idéologie solitaire. De ce point de vue, la Toile, au lieu de créer du lien, a favorisé l’efflorescence d’une masse d’individus solitaires ressemblant à l’homo clausus (l’homme clos sur lui-même, théorisé pour le nier par le sociologue Norbert Elias, ndlr). On peut s’interroger sur les effets d’une telle mutation, tant elle contribue à couper de la raison, sinon de la science, la formation de l’idéologie collective. La crise climatique comme la question du terrorisme djihadiste brouillant davantage la capacité rationnelle et collective d’analyse et de formation de la vision du monde.

Un regain d’abstentionnisme en 2022 pourrait bouleverser prédictions et résultats.

Un récent document publié par la Fondation pour l’innovation politique sous la direction de Dominique Reynié donne la mesure du malaise idéologique français et permet d’avancer l’hypothèse d’un « accident électoral en 2022 », provoqué par une forte abstention. Le propre des périodes de crise est de voir deux sortes de protestation émerger : l’une, traditionnelle, tend au conflit social et politique ; l’autre intègre sa propre impuissance et se défie de toute institutionnalisation. C’est de cette dernière qu’un regain d’abstentionnisme en 2022 pourrait bouleverser prédictions et résultats.

La crise sanitaire renforce une défiance croissante envers le politique tout en propulsant les demandes autoritaires à des niveaux records. Le Covid-19 et ses deux confinements n’ont fait que renforcer l’homo clausus et sont désormais devenus le détonateur d’un possible collapsus démocratique en France.

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